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l’Algérie n’avait été aucunement colonisée, elle se serait trouvée, une dizaine d’années plus tard, en face d’une situation identique à celle de l’heure actuelle, et cela sans que l’ombre d’un progrès, d’un accroissement de prospérité fût venu compenser ce resserrement,

Mais, dira-t-on, que signifient les chiffres dans une question qui est avant tout morale ? Qu’importe un peu moins de misère pour les indigènes, si le contact d’étrangers arrogans vient constamment leur rappeler leur sujétion ? Qu’importe que la part des Européens ne soit pas excessive, si elle est trop visible et si elle rappelle un passé de violence ? Qu’importe que le travail enrichisse et étende le sol, si cette richesse excite constamment l’envie et le regret de l’enfant du pays et accrédite chez lui l’idée que les Français lui ont pris toutes les bonnes terres ?

Il n’est que trop vrai : les indigènes n’ont pas besoin de consulter la magistrale Enquête sur la colonisation officielle de M. de Peyerimhoff pour être convaincus qu’une grande partie du domaine livré à la colonisation provient du séquestre, des confiscations immobilières qui ont suivi les grandes insurrections : « Quand nous rendra-t-on nos terres ? » disait un jeune instituteur arabe en recevant son décret de naturalisation. Son interrogation sera répétée par tous ses coreligionnaires au lendemain de leur émancipation et la seule réponse qu’on y pourra faire sera de s’unir dans le travail de tous pour amener la colonie à un état de prospérité qui rendra possibles tous les règlemens de compte.

Mais n’eussions-nous aucun souvenir de ce genre à effacer que notre situation vis-à-vis du peuple conquis n’en serait guère modifiée, témoin les difficultés que nous rencontrons en Tunisie aussi bien que l’Angleterre en Egypte : c’est le contact même du roumi, c’est sa présence sur le sol sacré de l’Islam qui choque le musulman.

Assurément, il ne faut pas croire qu’en Algérie les relations journalières des deux races soient foncièrement mauvaises, que le coudoiement des burnous et des manches de chemises s’accompagne forcément de regards torves et de sourdes injures ; mais la vie coloniale n’est pas douillette et les rapports qu’elle comporte ne sont pas comparables aux échanges de vues entre savans d’Europe et d’Islam dans un congrès d’orientalistes.