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chez les Européens la tendance est à la culture intensive et par conséquent réduite ; chez les indigènes, la prodigalité et la mauvaise administration, aussi la polygamie et la loi successorale qui multiplient le nombre des héritiers poussent au morcellement. Seulement, au-dessous des fastueux caïds, des marabouts avides, des chicaniers de haut vol, le Kabyle, le Mozabite et ses émules arabes guettent, amorcent, agrippent le pauvre fellah, ramassent à vil prix quantité de petits biens, se répandent et s’arrondissent obscurément et se substituent aux cultivateurs ruinés qu’ils réduisent à l’état de fermiers ou de khammès.

Voilà un des grands maux actuels qui évidemment n’est pas imputable à l’exploitation européenne, mais qui, au contraire, sévirait davantage encore si les initiatives et les capitaux européens ne venaient agrandir les possibilités de travail et de gain, accroître le prix des terres comme le taux des salaires et réduire le loyer de l’argent.


II

N’est-il point de remède à cette lente expropriation des petits agriculteurs qui, si elle continuait son œuvre, compromettrait gravement l’équilibre social de ce pays sans augmenter ses capacités de production ? L’usurier en effet ne se soucie guère de progrès agricole : il lui est plus expédient d’employer ses fonds à faire de nouvelles victimes que de les risquer à des améliorations culturales.

Tout d’abord, il faut écarter résolument les recettes juridiques et législatives, l’idée de protéger l’indigène par l’établissement du homestead, du bien de famille inaliénable. Que servirait à un malheureux de garder sa terre s’il se voyait réduit à mourir de faim en attendant la moisson ? Une telle mise en interdit de la plus grande partie du territoire de l’Algérie ne ferait que favoriser la malhonnêteté de quelques vendeurs, tout en laissant le plus grand nombre sous la domination des usuriers qui, par des arrangemens dolosifs, se feraient céder en gage ou à bail, aux pires conditions, les terres mises hors du commerce. Dès aujourd’hui, on voit trop de fellahs privés depuis de longues années de leur bien qu’ils ont donné en nantissement pour un prêt infime.