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où l’on aboutit en voulant trop comprimer un besoin universel qui, se jouant des interdictions et des commentaires les plus ingénieux à boucher les fissures des textes, tourne ou déborde tous les obstacles et cherche une issue dans les passages mêmes où l’on s’assurait de l’étouffer. Le droit musulman a prévu et condamné toutes les formes possibles de l’usure : tout lui est suspect, l’association commerciale, le métayage, la vente à crédit, le simple change de monnaie, et non seulement toutes les variétés du louage abusif de l’argent fleurissent dans le monde arabe, particulièrement le prêt de semences payable à un taux déterminé au moment de la récolte, procédé habituel de l’exaction d’intérêts excessifs entre indigènes algériens, mais bien plus cette législation donne au prêteur, dans la rahnia, ou gage immobilier, des facilités qui n’existent guère en aucun autre code pour rançonner un débiteur.

Frappés de la détresse où la prohibition du prêt à titre onéreux mettait le musulman en mal d’argent, les docteurs favorisèrent de bonne heure l’antichrèse qui, en fournissant une garantie au bailleur de fonds, lui permettait de se récupérer sur les revenus de l’immeuble engagé. Seulement, l’usage s’établit bien vite, contrairement au vœu formel de la loi sacrée, de conserver les immeubles en rahnia jusqu’au remboursement intégral de la dette, sans compter pour rien la jouissance de la terre ou de la maison mise en gage.

On a bien essayé, il y a quelques années, de redresser cet abus en rappelant aux magistrats musulmans, par une consultation de la Commission chargée de codifier le droit musulman, les vrais principes qui règlent ces contrats. Nous craignons bien que ces recommandations n’aient point trouvé d’écho dans les prétoires et que, parmi les innombrables propriétés laissées en rahnia, pas une n’ait été reprise aux roitelets de l’usure : c’est qu’aussi bien les spoliations de cette espèce sont surtout pratiquées par les grands du monde indigène, ou par leurs protégés, si bien que, fussent-ils mieux instruits de leurs droits, les emprunteurs frustrés n’oseraient les faire valoir : on voit ainsi de vastes territoires rester indéfiniment aux mains des fils de grande tente, ou de leurs cliens, sans aucun titre que d’anciens prêts, dont souvent le montant ne dépasse guère la valeur d’une récolte annuelle des terres occupées. Souvent, il n’existe aucun acte écrit, souvent le propriétaire légal reste