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tout prix en délogeant l’ennemi qu’elle avait en face, pendant que lui-même quittait le parvis de la Merced, où il avait pris position, pour attaquer l’angle Nord de la Recova, du haut de laquelle Beresford dirigeait la défense. En moins d’une heure, l’action devint générale ; les attaques simultanées étaient en plein effet, et les colonnes assaillantes, sous le feu plongeant et meurtrier des fantassins anglais postés sur les terrasses, semaient les rues natales de cadavres, mais avançaient toujours.

Au moment où Liniers, l’uniforme traversé de trois balles, débouchait à l’angle Nord-Est, les deux généraux, par une coïncidence étrange et terrible, virent tomber à leurs côtés leurs aides de camp, mortellement frappés : le capitaine Kennett, ami de Beresford, expira là même ; l’enseigne de vaisseau Fantin succomba le lendemain. Comme si l’incident tragique eût fait défaillir un instant cette âme intrépide, Beresford donna le signal de la retraite, et la division anglaise, décimée, se replia sur le Fort, en faisant toujours face à l’ennemi : le général fut le dernier à passer le pont-levis. Aussitôt, soldats et peuple mêlés firent de tous côtés irruption sur la place et vinrent battre les vieux murs, comme les flots de l’estuaire aux jours de grande crue. La fusillade continuait et quelques canons traînés à bras étaient déjà mis en batterie. Les corsaires de Mordeille, toujours à l’avant-garde, apportaient des échelles, se préparant à l’assaut comme à un abordage. Alors, à l’angle Nord-Est du parapet, on vit apparaître Beresford, tête nue, l’épée à la main, en même temps, qu’un drapeau blanc était hissé. Mais la fumée empêchait de voir et le feu ne cessait pas. Un bref dialogue en français s’échangeait entre Mordeille au pied de la muraille et le général anglais qui, bientôt, lui jetait son épée. Le marin français la lui rendit attachée à une corde faite de mouchoirs. En même temps, un matelot hissa au bastion le drapeau espagnol, et au feu qui cessa tout à coup succéda une immense acclamation. Liniers rétrograda vers le Cabildo, à l’entrée duquel il se tint debout, entouré de quelques officiers et des alcades accourus. C’est là qu’il reçut le général vaincu. Liniers serra dans ses bras le futur vainqueur d’Albuéra. La capitulation accordant les honneurs de la guerre, la garnison anglaise, une heure après, sortait du Fort, tambours battans et enseignes déployées, pour venir défiler devant les troupes victorieuses avant de déposer les armes.