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ancien émigré, et officier au corps de Condé, rentré en France sous le Consulat après un séjour de plusieurs années en Amérique, notamment à Buenos-Ayres où il avait connu Liniers. L’émigré assagi, sa radiation obtenue, vivait en paix dans sa gentilhommière, entre sa femme et ses enfans, quand, en mai 1808, un ordre impérial l’appela à Bayonne. Le résultat de sa courte entrevue avec l’Empereur fut qu’il partit le 30 mai, — sans doute un peu moins bousculé que nous le conte une biographie de famille, — sur un mauvais petit brick. Le Consolateur, à destination de Buenos-Ayres. On nous dit aussi que, outre divers journaux et papiers politiques relatifs à sa mission, le marquis avait reçu de Champagny un pli cacheté qu’il n’ouvrit qu’en haute mer et dont la lecture lui causa un « véritable désespoir. »

La petite scène, qui a le tort de rappeler le Cachet rouge de Vigny, est fort invraisemblable : qu’aurait-il pu contenir qui différât des instructions verbales reçues par Sassenay sur l’objet bien connu de sa mission ? D’ailleurs, dans les Lettres inédites de Napoléon Ier (tome I, p. 171), nous trouvons une lettre, du 16, mars 1808, relative à cette affaire et qui rétablit les faits. En rendant à Decrès ses verbeuses instructions sur l’expédition projetée à la Plata, le maître lui dicta la conduite à tenir avec sa précision impérative habituelle : « Je vous renvoie vos instructions ; ce qu’elles contiennent est inutile à écrire ; cela doit être dit de vive voix à l’agent que vous enverrez. » Évidemment, la règle dictée pour Jurien dut s’appliquer à son successeur. Et quant à la scène du « désespoir, » elle ferait plutôt sourire : les très réelles et cruelles mésaventures du pauvre émissaire provinrent, non de ses instructions, ni de ses efforts pour les remplir, mais des circonstances imprévues et qui devaient l’empêcher de les exécuter. On sait trop comme celles-ci se succédaient alors sur le monde en coups de théâtre formidables et inouïs, devant lesquels les petits gestes d’un passant ne comptaient pas. C’est dans ce tourbillon que Sassenay tomba et fut emporté comme un fétu dans un cyclone.

Les derniers jours de la traversée semblèrent contenir pour lui le présage de ce qui l’attendait dans la contrée qu’il avait connue si passive et si calme » En vue de la côte uruguayenne un pampero furieux rejeta au large le Consolateur, retardant d’une semaine son arrivée. Il dut descendre à Maldonado et