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pas d’une rébellion et le premier pas d’une invasion peuvent la mettre en péril. En vérité, le danger de l’invasion était la meilleure sauvegarde contre celui de la rébellion... Ces mots : Les Français arrivent... étouffèrent comme par enchantement tout murmure... L’effet immédiat de nos revers dans le Détroit et dans les Flandres fut de donner une seule âme au grand corps de la nation et toutes les discussions de parti furent oubliées[1]. »

Nous n’eûmes jamais au même degré la constance romaine et la constance anglaise. Les observateurs étrangers nous ont reproché d’avoir hérité de la mobilité athénienne. « L’esprit des Français, a dit Pétrarque[2], est toujours vif et prompt à entreprendre la guerre, mais il fléchit vite sous les calamités et il ne sait pas les supporter. « Tous cependant avaient noté que, fidèles à une coutume gauloise, en se désavouant eux-mêmes et s’abandonnant au découragement, ils ne désavouaient pas leurs chefs malheureux et ne s’en séparaient pas. « More Gallorum, nefas est etiam in extrema fortuna deserere patronos[3]. — « Les Français, dit Paul Giove, non seulement sont fidèles à leurs rois, mais ils les révèrent et les adorent[4]. » — « Ils n’admettent pas, ajoute Machiavel, que leur roi ait tort, soit dans la bonne, soit dans la mauvaise fortune[5]. » Quand François Ier eut été pris à Pavie, « la France se crut prisonnière en lui, les bonnes gens demandaient des nouvelles du Roi et les écoutaient en pleurant[6]. » Les femmes faisaient tourner plus vite et plus souvent leurs rouets afin de contribuer à la rançon du captif.

Les guerres civiles de religion, qui vinrent déchirer la France, altérèrent notre loyalisme national. Il avait existé des traîtres comme le connétable de Bourbon, mais l’exécration publique les avait anéantis et la trahison n’était pas une coutume française excusée ni glorifiée. A partir de la Ligue et de la Fronde, il en fut autrement, et l’on vit nos grands capitaines, Condé, Turenne, servir sous le drapeau espagnol contre leur patrie et leur roi.

  1. Guillaume III.
  2. Pétrarque : « Ut ad bella suscipienda Gallorum alacer ac promptus est animus, sic mollis ac minime resistens ad calamitates perferendas mens eorum est.
  3. César, De bello Gallico, VII, 40.
  4. Viia del marchese di Pescara, I. IV.
  5. Del discorsi, lib. III, cap. xi.i, p. 223 de 1789.
  6. Michelet.