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Carnot, républicain incorruptible, avait vécu éloigné de la prospérité de Napoléon ; il se rapprocha de son malheur et, en janvier 1814, il lui écrivit : « Sire, aussi longtemps que le succès a couronné vos entreprises, je me suis abstenu d’offrir à Votre Majesté des services que je n’ai pas cru lui être agréables. Aujourd’hui que la mauvaise fortune met votre constance à une grande épreuve, je ne balance plus à vous faire l’offre des faibles moyens qui me restent. C’est peu de chose, sans doute, que l’effort d’un bras sexagénaire ; mais j’ai pensé que l’exemple d’un soldat, dont les sentimens patriotiques sont connus, pourrait rallier à vos aigles beaucoup de gens incertains du parti qu’ils doivent prendre, et qui peuvent se laisser persuader que ce serait servir leur pays que de les abandonner. Il est encore temps pour vous, Sire, de conquérir une paix glorieuse et de faire que l’amour du grand peuple vous soit rendu[1]. » Napoléon l’avait chargé de défendre Anvers.

A peine aux Tuileries après l’ile d’Elbe, il l’avait appelé et, voulant donner des garanties aux libéraux, lui avait confié le ministère de l’Intérieur. Carnot eût préféré la Guerre. « Mais, dit-il, il ne m’est pas permis de rien refuser à Votre Majesté en ce moment[2]. » Il blâme Lafayette : « Devant l’étranger, haine, espérance, tout devait être sacrifié à la défense de l’intégrité du territoire national ; on devait servir celui qui tenait le gouvernement de la France, quelles que fussent ses erreurs, parce qu’il était la sauvegarde de l’indépendance nationale plus sacrée que les intérêts mêmes de la liberté. » « Si cet homme nous trompe, écrivait-il à un ami, nous aurons rempli notre devoir, et nous irons, comme le vieux Romain, reprendre notre charrue ; mais du moins le sol qu’elle creusera n’aura pas été foulé par l’invasion étrangère. » Il fut très attrapé d’avoir été créé comte. « Si le service de la patrie l’exige, dit-il, je me laisserai nommer marquis ou vidame. » Serviteur de Napoléon par patriotisme, il devint son ami. Il le détourna de l’abdication, le poussa à s’opposer à la déchéance et à retourner sans retard à son armée reconstituée par les 30 000 hommes de Grouchy, et d’où, menaçant, il eût maté l’Assemblée plus que de l’Elysée.

Sieyès, le penseur profond de la Révolution, refusa aussi de suivre Lafayette et se rangea à côté de Carnot. » L’Empereur,

  1. Carnot, Mémoires, t. II, p. 288.
  2. Ibid., t, II, p. 409.