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Frossard. Si Metman était venu par la vallée, Castagny par la hauteur, Montaudon par Grosbliederstroff, à ce moment critique où Alvensleben, repoussé sur le Gifertwald, était arrêté sur l’Éperon et le Forbacherberg, et si les trois divisions françaises, concentrant leur effort, eussent prononcé un mouvement offensif, les Prussiens auraient été refoulés en miettes sur la Sarre et Sarrebrück, et la guerre commençait pour eux par une débâcle.

Même l’arrivée tardive des trois divisions n’eût été qu’un mal très réparable si Frossard, resté maître de soi, avait établi son corps sur les hauteurs entre Spicheren, Œting et Bohren, à l’abri de tout danger, puisqu’il dominait la vallée où les Prussiens n’étaient pas les plus forts. De là il se serait mis en communication avec Metman, Castagny, Montaudon, se serait concerté avec Bazaine et, ses troupes restaurées par une nuit de repos, il aurait pu le lendemain reprendre en excellentes conditions le combat interrompu la veille. Mais Frossard détruit tout à coup ces perspectives. Il n’était pas vaincu, il se constitue à l’état de vaincu ; Alvensleben n’était pas victorieux, il lui donne la gloire qu’il n’avait pas gagnée ; il s’évade du champ de bataille où l’ennemi ne le menaçait pas. Les péripéties favorables de la bataille contre Kameke avaient d’abord rendu à Frossard sa tranquillité d’esprit. Un de ses officiers, traversant vers trois heures le camp du général Arnaudeau au Mittenberg, lui avait dit : « Pour aujourd’hui, ce n’est pas sérieux ; le général Frossard n’est pas inquiet, mais demain ce sera autre chose[1]. »

A 5 h. 15, Frossard avait encore rassuré Bazaine. « La lutte qui a été très vive s’apaise ; j’espère rester maître du terrain. mais cela pourra recommencer demain matin ou peut-être la nuit. La division Montaudon vous sera renvoyée aussitôt que possible. Si vous pouviez m’envoyer un régiment au moins par chemin de fer, ce soir, ce serait bien. Mes troupes sont fatiguées. Votre brigade de dragons est arrivée, mais ne peut m’être de grande utilité dans les bois. » En effet, il avait renvoyé la brigade Juniac : elle encombrerait, croyait-il, la route qu’il importait de tenir libre pour l’artillerie de réserve et le service des ambulances. Et il la fit rétrograder sur Morsbach, Bening, Merlebach.

  1. Déposition du général Arnaudeau au procès Bazaine.