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Lentement, le vieux Jolyon se leva de sa chaise et s’assit à sa table pour manger son dîner.


Ce qui frappe dans une telle scène, ce n’est pas seulement l’abondance du détail d’âme observée, c’est encore la minutieuse indication du décor. Ce décor exact est nécessaire quand il s’agit de présenter des types. Car un type ne se caractérise pas seulement par sa structure physique et morale. Isolé, séparé de son habitat où se manifestent ses habitudes, il n’est plus rien. Il n’existe que par sa relation avec un certain milieu, le milieu qu’il s’est façonné, et qui contribue à le façonner, tout au moins à le maintenir dans sa forme. Dans le Propriétaire, dans le Manoir, les menues circonstances extérieures, l’environnement des personnages sont décrits avec une précision qu’un lecteur inattentif aux dessous psychologiques du roman peut juger oiseuse. Si M. Galsworthy raconte un diner, par exemple celui qui réunit Soames, Irène, June et Bosinney, il marque les places des convives ; il dit le menu : le potage, « excellent quoiqu’un peu épais, » — le poisson, « une sole frite de Douvres, » les côtelettes, « enveloppées de papillotes roses, » la charlotte aux pommes ; il nous apprend la qualité des olives, des vins, du café, des cigarettes. Si Soames remarque : le Champagne est sec... la charlotte est bonne ; si le domestique propose à l’oreille : un peu de salade ? si June demande du sucre, il n’oublie pas de le noter. Il note jusqu’aux silences. On hésite à citer un tel morceau : le lecteur va hausser les épaules, crier à l’art photographique.


Je le citerai pourtant, car cette page va nous livrer le second procédé, le plus intéressant, de ce romancier. M. Galsworthy use simultanément de deux moyens contraires : l’un qui consiste à tout dire, et l’autre à ne pas tout dire, et cela sans difficulté, car le plus souvent, et c’est le trait le plus original de son art, la réalité dont il s’occupe dans un même instant est double et se compose sur deux plans différens. Tandis qu’il suit par le détail un certain ordre de faits, il en est un autre qu’il nous laisse à deviner, et cela sur de minimes indices, mais si attentivement choisis ! En général, c’est le plus émouvant ; c’est la