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dit-elle, que j’aie un ange à mes côtés, dans une forme corporelle. Il était petit, d’une merveilleuse beauté et son visage étincelait de lumière. Cet ange avait en la main un dard qui était d’or. Il me sembla qu’il l’enfonça diverses fois dans mon cœur, et toutes les fois qu’il l’en retirait, il m’arrachait les entrailles, et me laissait toute brûlante d’un si grand amour de Dieu que la violence de ce feu me faisait pousser des gémissemens mêlés d’une si extrême joie que je ne pouvais désirer d’être délivrée de cette douleur délicieuse[1]. »

La dernière œuvre du Bernin est digne de la Sainte Thérèse, c’est la Beata Albertoni, représentée sur son lit de mort, les mains crispées sur son cœur malade dont elle voudrait comprimer les battemens qui l’étouffent ; la tête renversée sans force, les yeux voilés, elle s’abandonne dans le calme des vierges quittant la terre pour rejoindre leur céleste époux.

Le Bernin a été un merveilleux peintre de ces âmes chrétiennes où dans une union si étroite vivent la souffrance et le bonheur, souffrance de la vie présente, bonheur de l’espérance des joies futures. Mais il a été surtout le poète de la joie, et pour la chanter il a évoqué tout particulièrement le charme et le sourire des petits enfans. Toutes ses œuvres en sont remplies et comme encadrées ; citer ses figures d’enfans, ce serait pour ainsi dire les énumérer toutes : c’est à Saint-Pierre, le maitre-autel, le monument de la chaire, les niches des pylônes de la coupole, les piliers de la grande nef, les voûtes des nefs latérales, la tombe de la comtesse Mathilde ; ailleurs, à Saint-André du Quirinal et dans ses églises de Castel Gandolfo et de l’Ariccia, partout, dans les voûtes, au-dessus des autels, c’est la même nuée d’anges descendant du ciel au milieu des rayons du soleil. Ses œuvres, comme sa maison, furent remplies par les enfans, et les onze enfans que lui donna sa charmante femme, qui était la plus grande beauté de la ville de Rome, lui fournirent toute sa vie d’inépuisables modèles de grâce et de jeunesse.

Le Bernin qui a sculpté si souvent des statues de saints représenta très rarement la Vierge. Par là il suit le mouvement de son siècle où le culte des saints tend à se substituer à celui de la Madone. Pour plaider la cause des âmes mortelles auprès

  1. Cette page admirable que je ne connaissais pas lorsque j’ai écrit mon livre sur le Bernin a été citée par M. Alfassa dans le numéro du 10 mars 1911 de la Revue de l’Art ancien et moderne, p. 282.