Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette œuvre, c’est qu’elle ne peut être vue que d’un seul point, au centre de la nef ; partout ailleurs elle est incompréhensible. Il faut nécessairement se placer au point voulu par l’artiste, au point où il fait converger toutes les lignes de sa feinte architecture, et alors on a le spectacle le plus miraculeux que la peinture ait jamais imaginé. C’est une ascension sans fin des lignes architecturales ; l’église semble se transformer en un monument n’ayant plus rien de réel, qui porte nos regards aussi haut qu’ils puissent monter, qui perce les nues et nous transporte jusqu’aux régions où trônent les anges et les bienheureux. J’imagine la joie qu’auraient éprouvée nos grands maîtres gothiques s’ils avaient pu voir un tel art, dans son esprit si semblable au leur.

Cet art, le Père Pozzo le fit connaître dans toute l’Italie, et notamment à Venise où nous le voyons aboutir aux merveilles de Tiepolo. Quand on parle de Tiepolo, on le rattache toujours et uniquement à Paul Véronèse. Et sans doute aucun Vénitien du XVIIIe siècle ne peut s’abstraire d’un tel art. Dans tout le passé vénitien c’est le coloris argenté, ce sont les gouttes de rosée de Paul Véronèse que Tiepolo doit choisir, mais Véronèse ne pouvait rien lui apprendre dans l’art des compositions aériennes. A la voûte des Scalzi, au Palais Labbia, surtout dans son grand chef-d’œuvre qui est la voûte de la Scuola del Carmine, Tiepolo est la fleur suprême de l’art romain du XVIIe siècle.


III. — FIN DE L’ART DU XVIIe SIÈCLE : LE NÉO-CLASSICISME

Le style du XVIIe siècle se continue à Rome pendant tout le siècle suivant, sans modifications profondes. On construit de grandioses façades, telles que celles du Latran, de Sainte-Marie Majeure, de Sainte-Croix in Jérusalem ; et le luxe se poursuit dans les décors intérieurs : la Chapelle Corsini, au Latran, égale en richesse la Chapelle Chigi de Raphaël et le Saint-André du Bernin.

Cet art, qui satisfaisait si complètement tous les désirs du peuple romain, ne trouva ses causes de défaveur que lorsque, en se modifiant, il se transporta dans d’autres milieux, où des conditions sociales très différentes devaient fatalement l’entraîner à sa perte. A Rome, le peuple jouissait librement d’un art merveilleux qui ne lui coûtait rien. Ce peuple qui n’avait aucune indus- trie, aucun commerce, aucunes ressources agricoles, disposait, par une singulière fortune, des plus grands trésors du monde.