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léopards, gazelles, pullulaient ; la chasse resta sous la domination romaine une des grandes ressources du pays. Les côtes de l’Atlantique étaient extrêmement poissonneuses ; les pêcheurs espagnols de Gadès s’avançaient jusqu’au fleuve Lixus. On péchait également la pourpre que l’on travaillait sur place et qui faisait l’objet d’un grand commerce d’exportation.


L’œuvre romaine au Maroc, malgré les limites étroites dans lesquelles elle s’était volontairement enfermée, est restée incomplète et éphémère. La romanisation, en dehors des centres urbains, y a toujours été très superficielle et la prospérité économique, surtout en raison de la pauvreté de la main-d’œuvre, fort restreinte. Il n’y a rien eu en Tingitane de comparable au magnifique essor d’autres provinces romaines, comme l’Espagne, la Gaule et, sur le continent africain lui-même, l’Afrique proprement dite. Et cependant, pour exercer son action civilisatrice, Rome se trouvait placée dans des conditions infiniment plus favorables que nous. Français du XXe siècle, ne le sommes aujourd’hui. Dès le début, elle a eu les mains libres. Jamais la question du Maroc n’a pris pour elle la forme d’une question européenne. Au moment où les Romains s’installent en Afrique, il n’existe plus dans le bassin méditerranéen de puissance capable de contrecarrer leurs vues ou de peser sur leurs décisions. : Carthage a disparu ; l’Espagne, la Grèce, la Macédoine sont devenues provinces romaines ; le reste de l’Europe, — Gaule, Germanie, Grande Bretagne, pays slaves de l’Est, — est quantité négligeable. Pas d’appétits étrangers à satisfaire, pas de concours à acheter, pas de susceptibilités à sauvegarder, pas de complications diplomatiques à craindre au dehors. Rome n’a à tenir compte que de ses propres intérêts ; elle n’a à « causer » avec personne, sinon avec les Marocains eux-mêmes. Elle choisit librement la forme qu’elle entend donner à sa suprématie. Protectorat ou annexion, elle décide librement et elle décide seule, dans toute la plénitude de sa souveraineté, sans avoir à subir le contrôle ou à redouter l’intervention de l’étranger.

En Afrique même, la résistance nationale ne revêt pas encore la forme d’une lutte religieuse. Les Romains n’ont pas trouvé devant eux le fanatisme musulman ; ils n’ont pas connu