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la guerre sainte, les héroïsmes qu’elle suscite, les rancunes implacables qu’elle laisse derrière elle. Le paganisme, qu’il fût berbère ou romain, n’était en rien exclusif. Rome a fait place dans son panthéon aux divinités africaines, les a assimilées aux siennes, confisquant ainsi au profit de sa domination le culte traditionnel et les croyances les plus intimes de ses sujets africains. La religion, qui est pour nous un obstacle et une préoccupation de tous les instans, devenait pour elle un élément de fusion et une arme efficace de gouvernement. Ajoutons enfin que la puissance romaine au Maroc s’est maintenue plus de quatre siècles, toutes circonstances exceptionnelles qui ont largement favorisé l’action de nos prédécesseurs latins et que nous ne retrouvons plus aujourd’hui.

Comment expliquer, dès lors, que cette première intervention européenne n’ait pas eu de résultats plus complets et plus décisifs? Les raisons de ce fait sont multiples. Il faut tenir compte à la fois de ce que les Romains ont voulu faire et des difficultés auxquelles ils se sont heurtés. A leurs yeux, la province de Tingitane a toujours été d’importance secondaire. Le jugement dédaigneux du géographe Pomponius Mela, que nous citions plus haut, est caractéristique à cet égard. Ils n’ont jamais eu l’intention de la soumettre à une exploitation intensive, comme c’était le cas pour les provinces voisines d’Espagne et d’Afrique. Le Maroc, en réalité, ne les a guère intéressés que d’une manière indirecte et par contre-coup. Leur but, lorsqu’ils s’y sont installés, était essentiellement de couvrir leurs riches possessions espagnoles contre tout danger venu du Sud. Ce péril d’ailleurs n’était pas chimérique. Au temps des guerres civiles, les Maures de Tingitane avaient appris à connaître le chemin de l’Espagne. Sous l’Empire encore, malgré les précautions les plus minutieuses, nous les voyons à plusieurs reprises, sous Marc-Aurèle, sous Septime Sévère, traverser le détroit de Gibraltar et dévaster la province espagnole de Bétique.

Cette idée fondamentale, qui est à la base de toute la politique marocaine de Rome, explique un certain nombre de faits qui pourraient sans cela nous paraître singuliers. Tout d’abord, le caractère restreint de l’occupation territoriale. Pour protéger l’Espagne, la possession du Maroc septentrional était indispensable ; c’était un minimum à la fois nécessaire et suffisant. Les Romains s’y sont tenus. A la fin du IIIe siècle, Dioclétien