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L’IMAGINATION
AUX
SALONS DE 1912

« Faut bien montrer des images à l’homme ; la réalité l’ennuie ! » disait un bohème de Gavarni en désignant un de ces petits dioramas de foire d’autrefois, où se précipitait la foule. Ce bohème a toujours raison. La foule passe toujours indifférente devant le pré, la rivière, le mendiant accroupi au soleil, l’étal de boucherie, les enfans qui jouent, et toujours elle s’arrête avec curiosité devant les images où sont reproduits par l’art ce pré, cette eau, ce loqueteux, cet étal, cette marmaille. C’est qu’elle comprend mieux l’image que la réalité. Dans la figuration qui lui est faite des choses qu’elle connaît le mieux, les traits qui parlent à son entendement ou qui touchent sa sensibilité sont profilés avec infiniment plus de netteté que dans ces choses mêmes. Et « la vanité » dont Pascal accuse la peinture se justifie le plus naturellement du monde. Mais il y a une chose qui divertit la foule encore bien plus que l’image des réalités : c’est l’image des choses irréelles, la figuration de ce qui n’est pas arrivé. L’éducation positiviste n’y peut rien. L’instinct est indestructible. Après une période prolongée d’images réalistes, de documens humains, on sent l’obscur besoin de connaître ce qui n’est pas, ce qui n’a jamais été : les virtualités de l’être. Le réel n’est jamais que le passé des formes. L’esprit humain concevant autre chose que le passé, la sensibilité aime à éprouver autre chose que le réel. De là, les réactions périodiques contre l’image documentaire.