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Nous touchons à un de ces momens. Les précisions photographiques, accumulées depuis l’invention de la photogravure, commencent à nous ennuyer autant que, vers la fin du classicisme, les Grecs et les Romains ennuyèrent nos pères. On se tourne, à nouveau, vers les visionnaires ou les Imaginatifs : on a soif de fantaisie. Cela est si vrai que, dans les meilleurs périodiques illustrés de tous les pays, le document photographique, longtemps prédominant, commence à céder la place à l’invention ou à la transcription artistique, à l’idée clairement dégagée de l’amas des faits, tranchons le mot : au symbole. On garde toutes les fenêtres ouvertes sur la nature, mais on en ouvre d’autres sur des pays de féerie, et les privilégiés qui y ont voyagé, et nous en rapportent des images, nous intéressent infiniment mieux que les gens occupés à peindre le coin de notre rue. C’est ainsi qu’aux Salons de 1912, par exemple, on salue, mais l’on passe devant beaucoup de travailleurs honorables acharnés à nous remettre sous les yeux ce que nous voyons tous les jours et l’on s’arrête devant les visions les plus fantaisistes des imaginatifs, dans tous les ordres de choses, depuis les grandes œuvres de M. La Touche ou de M. Maurice Denis, faites pour couvrir des murs, jusqu’aux petites images enluminées par M. Rackham ou M. Mossa, faites pour être feuilletées et tenir dans la main.


I

Ce n’est pas que ces artistes se soient mis en frais de mythes bien neufs. Rien de plus usé que la Roue de la Fortune ou la Tentation de saint Antoine, si ce n’est l’Age d’or, ou les Quatre Elémens, les Fées ou la Fable de Persée. Mais rien de plus imprévu que les thèmes pittoresques adoptés pour les traduire à nos yeux. Regardons les toiles de M. La Touche, avenue d’Antin, salle XII. La Fortune est « en panne ; » à force de rouler sur les chemins, sa roue s’est faussée, et son moteur, qui est une paire d’ailes, exige une réparation. Elle s’est assise au bord d’une rivière, qui ressemble beaucoup à la Seine, et ayant relevé son bandeau, elle attend paisiblement que le charron ait raccommodé sa fabuleuse mécanique. Lui, sans se soucier de cette belle personne, tout à son travail, fait le geste professionnel de l’ouvrier qui met une roue en marche et qui éprouve si elle tourne comme il faut. Cependant, les poules de la basse-cour picorent