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beau fruit mûr. Elles ne sont pas filles d’une idée : un sourire les a fait naître, un beau mouvement les anime, une riche couleur les nourrit, et si, le jour venant à baisser, l’ombre les chasse, elles nous laissent le souvenir que laissent ces mondes lumineux d’atomes qu’on voit, un instant, danser dans un rayon de soleil.

C’est le soleil encore qui transfigure l’humanité de M. Maurice Denis et en fait, le plus naturellement du monde, la contemporaine de l’Age d’or. Voici bien des années que M. Maurice Denis cherche des harmonies dans une gamme très haute, là où la moindre dissonance déchire l’œil, mais où le juste accord des tons est une splendeur. Cette fois, il l’a trouvée. Les Cinq panneaux pour la décoration d’un escalier, qu’il expose avenue d’Antin, salle VIII, illuminent tout le Salon. On y vient comme à un foyer incandescent, où l’on ne distingue d’abord que des flammes. Ces flammes sont des corps humains, cette braise ardente est un cap, ces suspensions lumineuses sont des grappes de raisin, cette coupe d’or est un nid. Avec ce qui est ici nuages, on ferait des soleils ailleurs. Un mouvement léger, vif, gai, anime toutes choses. Les figures sont vues dans des attitudes d’escalade ou de fuite. Les draperies flottent. Une arabesque blanche, qui est un cheval, court le long d’une frise bleue, qui est la mer. Les nuages vagabondent dans le ciel. L’Age d’or, c’est l’été et c’est la jeunesse : les parens toujours jeunes, les enfans toujours petits, la mer toujours bleue, les ombres colorées à l’envi des lumières, une vie libre et facile dans un paysage complice et clair.

Cette imagination ne serait rien sans les dons précieux du peintre. Dons de luministe plus encore que de coloriste. Une extrême lumière éteint les couleurs aussi bien qu’une ombre extrême. Et, ici, plusieurs figures ne se dégagent que lentement de l’atmosphère éblouissante où elles sont plongées. Mais précisément, ce sont les figures secondaires ; les principales sont bien celles qu’on voit d’abord, et dans ces harmonies où tout est extrêmement monté de ton, chaque partie se trouve, par une gradation insensible, jouer exactement son rôle, sans aucune confusion. Sans doute, si l’on considérait, à part, certains fragmens de ces figures, on serait fort étonné de la couleur choisie pour révéler un bras ou une jambe. Mais un ton ne vaut qu’en fonction des tons environnans et si ce rapport est juste,