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serpentines. On ne voit pas qu’il y ait, dans toute cette immense composition, une seule ligne tout à fait droite ni un seul plan tout à fait plat. On ne voit pas, non plus, qu’un seul morceau, pris à part, puisse résister à l’examen. Et le paquet coloré que forme le groupe central, la Terre, la Géologie et le Pâtre, est ce qu’on peut imaginer de plus déplaisant à l’œil. Mais quand on aura fait ces critiques et bien d’autres, cette page gardera une suprême vertu : il s’en dégage un grand charme. Les yeux s’y reposent sans s’y fatiguer. Elle ne s’imposera pas à l’attention des auditeurs, en Sorbonne, comme ces panneaux décoratifs de couleur violente, qu’il faut aimer beaucoup pour les indéfiniment subir. Quand ils voudront, elle entraînera leur pensée aux pays inconnus qu’habitent, en de rares minutes, les poètes, ce pays dont William Morris parlait lorsqu’il intitulait les récits qu’il en apportait : Nouvelles de nulle part.

C’est de là, proprement, que vient aussi M. Arthur Rackham. Les découvertes qu’il y a faites remplissent une salle du rez-de-chaussée, avenue d’Antin, la Salle Rackham, éclairée artificiellement. Une fente lumineuse entre de lourds rideaux la désigne. Ces rideaux franchis, on se trouve dans un monde enchanté : le monde de Rip van Winckle, de Piter Pan, du Nibelung. Des gnomes sautillent, des ondines ondulent, des dragons bâillent, des flammes serpentent, des nains arrondissent le dos en face des Dieux et tendent des mains tentaculaires. C’est Alberich, furieux, escalade le rocher pour s’emparer de l’or (N° 4) ou Fafner (N° 30) ou Wotan s’éloigne de Brünnhilde endormie (N° 34). On voit paraître, çà et là, une petite fille rieuse, ébouriffée, ou stupéfaite, extasiée, devant le merveilleux mystère de la vie. C’est l’Enfant sur le seuil (N° 75), ou Alice au pays des merveilles (N° 77) ou l’Enfant changé par les Fées (N° 73).

Il arrive, quand on gravit l’escalier intérieur d’une tour, qu’en s’approchant d’une étroite lucarne on découvre un immense et lumineux horizon. De même quand on s’approche de ces petits cadres, trois ou quatre fois grands comme la main, où sont enfermées les aquarelles de M. Rackham : de nouvelles perspectives s’étendent devant l’imagination, une bouffée d’air frais souffle au visage, on sent que la fantaisie des peuples jeunes, cette puissance créatrice qu’a l’enfance n’est pas disparue, puisqu’un grand artiste se divertit encore aux grimaces des arbres, aux hiéroglyphes de l’onde, aux toilettes des libellules. Tous les brins d’herbe lui