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et blessures à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions : dans tous les pays et sous tous les gouvernemens, c’est une mauvaise affaire. Le prince d’Osaka reçoit l’ordre de s’ouvrir le ventre, ce qui, en japonais, se prononce : harakiri.

Sur le corps de leur maître injustement condamné, les samouraï du prince d’Osaka ont juré de le venger. Désormais leur chef, Yagoro, ne va plus vivre que pour accomplir cette terrible mission. Il connaît l’histoire de ce Brutus qui, pour sauver sa patrie, contrefit l’insensé, ou encore celle de ce Laurent de Médicis dont Musset a fait Lorenzaccio et qui, pour tuer plus sûrement le tyran, feignit de s’abandonner à la débauche. Il fréquente les maisons de thé, où l’on ne voit plus que lui, et dans des états tout à fait propres à endormir les craintes du prince Sendaï. En effet, lorsque sonne l’heure de la vengeance, elle trouve celui-ci sans méfiance. Les conjurés envahissent son château, sous un costume de bateleurs, et le contraignent à s’ouvrir le ventre : œil pour œil, harakiri pour harakiri. Au sortir de cette représentation, le harakiri nous est devenu une pratique tout à fait familière, simple, facile, et qui donne envie. Cependant l’Empereur, qui passait par là, déplore en termes excellens la férocité de cet usage qui le prive de ses meilleurs serviteurs, comme la manie des duels en France sous Richelieu. J’ai dû négliger au passage plusieurs épisodes saisissans : tel le combat du père et du fils, samouraï dans les deux camps opposés, et qui sacrifient pareillement au devoir les faiblesses de la nature et la voix du sang. Mais, dans ce genre de pièces, l’héroïsme part en fusées de tous les coins.

Je ne sais rien sur les mœurs du vieux Japon, et je suis tout disposé à croire que M. Paul Anthelme nous les a décrites avec une impeccable exactitude. C’est donc qu’elles ressemblent furieusement aux mœurs de la vieille Italie, de la vieille Espagne, et généralement de toutes les nations à peine au sortir de l’enfance. Nos chansons de geste sont pleines de ces luttes interminables entre deux familles : après les pères la reprenaient les fils. En Angleterre, en Ecosse, les rivalités de dans emplissaient des siècles entiers de tueries. Le point d’honneur espagnol exigeait que Chimène envoyât Rodrigue au bourreau. Et on sait comment Colomba entendait l’honneur corse... Mais il ne s’agissait pas de juger les mœurs vieux-nippones : l’auteur n’avait qu’à les peindre : les images qu’il nous en présente sont d’un coloris vif et réjouissant.

La troupe de l’Odéon, MM, Joubé et Desjardins en tête, se tire aussi bien que possible de ce divertissement exotique.