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afin que le public sache qu’il s’agit d’un acte de légalité et non d’arbitraire. Nous rédigerons ensuite les proclamations qui justifieront ces actes de salut public, et le lendemain la nation apprendra les faits accomplis. Nous demanderons à nos collègues de ratifier ce que nous aurons été obligés d’arrêter et d’exécuter sans leur consentement et, si certains nous refusaient ce bill d’indemnité, nous les remplacerions immédiatement, et nous verrions après. » — « J’ai, ajoutai-je, pris, moi aussi, sans vous consulter, une mesure très importante. J’ai appelé de Lyon le général Cousin-Montauban, dans la pensée de lui offrir le ministère de la Guerre. On le dit homme de résolution, et le retard d’un jour, que nous mettrons à exécuter nos arrestations, nous permettra d’avoir immédiatement son concours pour soutenir Baraguey d’Hilliers et le suppléer au besoin. »

Chevandier m’avait écouté sans m’interrompre, hochant parfois la tête. Quand j’eus terminé, il se leva, me tendit la main et dit : « C’est entendu, je vais chez Pietri lui dire de différer jusque dans la nuit du 9 au 10, et lui donner rendez-vous à la Chancellerie pour aller ensuite tous les trois chez l’Impératrice, vis-à-vis de laquelle je lui recommanderai le secret. » Il me quitta. Une heure du matin venait de sonner[1].

Réussirions-nous? Il serait un homme d’État de mince

  1. Bernier, juge au tribunal de la Seine à Emile Ollivier, Paris, 26 mai 1874 : « Monsieur le Ministre, vous me demandez de vous préciser mes souvenirs sur les mesures que votre gouvernement avait décidées pour assurer l’ordre intérieur en face de l’ennemi après nos premiers revers. — Dans la nuit du 8 au 9 août 1870, j’étais dans le cabinet du préfet de Police, attendant vos instructions. Vers une heure et demie du matin, parut M. Chevandier de Valdrôme, ministre de l’Intérieur : il nous annonça que le gouvernement avait décidé l’arrestation des membres de la Gauche dont les agissemens faisaient déjà présager ce dont ils se sont montrés capables le 4 septembre. M. Chevandier remit la liste des députés qui devaient être arrêtés, cette liste était écrite en entier de sa main, je l’ai lue, elle comptait les noms de vingt-deux députés parmi lesquels je me rappelle parfaitement ceux de Gambetta, Arago, J. Favre, E. Picard, Ordinaire, Dorian, de Kératry, J. Simon, J. Ferry, Pelletan. Il fut convenu que les arrestations ne seraient faites que dans la nuit du mardi 9 août au mercredi 10. Dans la séance du Corps législatif du 9 août, votre ministère fut renversé et la nouvelle administration n’a pas maintenu les ordres que vous aviez donnés. Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentimens respectueux et dévoués. » Ce témoignage est confirmé par les Souvenirs de Mme Carette, t. III, p. 174 : « M. Emile Ollivier voulait, après avoir obtenu le retour de l’Empereur et dans la nuit même, faire arrêter tous les chefs de l’opposition. Les mandats d’arrêt étaient préparés. » Jules Favre parait avoir été aussi averti : « À ce moment, il était question de nous mettre en jugement et de nous déporter. Chaque nuit on nous avertissait que nous devions être arrêtés. » Enquête sur le 4 septembre.