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bien malheureux ! répétait-il. C’est épouvantable ! Mais que faire ? — Il me semble, répondit Maurice Richard, que Votre Majesté devrait se retirer sur Châlons et s’y réorganiser. Il faudrait recourir à tous les moyens révolutionnaires de salut public, afin de n’en pas laisser le privilège à l’opposition. »

Lorsque Le Bœuf, qui était aux avant-postes, fut de retour, il fit dire à Maurice Richard qu’il l’attendait dans son bureau à la Préfecture, à côté de celui de l’Empereur. En le voyant, il se jeta à son cou : « Ah ! mon ami ! quel malheur ! » Il lui raconta les événemens, lui révéla que l’Empereur n’avait pu se tenir à cheval à Sarrebrück : « Ah ! mon cher ami, répéta-t-il, ce qui se passe est déplorable. Je vous livre mon honneur militaire, car je ne veux pas qu’on sache ce que je vais vous dire : un plan d’opérations offensif avait été convenu, de nature à tout réparer. J’étais allé aux avant-postes donner des ordres ; là j’apprends que, sans me consulter, ni me prévenir, on a tout changé, des contre-ordres ont été expédiés. Je viens de donner ma démission. L’Empereur m’a supplié de rester ; provisoirement j’y ai consenti par dévouement, mais je me considère comme démissionnaire. » Puis, le prenant par les deux épaules et le regardant bien en face : « Répondez-moi franchement, croyez-vous qu’une abdication sauverait la dynastie ? — Comment ! nous en sommes là ! — Oui, c’est très grave. — Je crois qu’une abdication, loin de sauver quoi que ce soit, ne ferait que compliquer la situation en transférant le pouvoir à une femme et à un enfant. — S’il n’abdique pas, reprit Le Bœuf, il faut que quelqu’un supporte le poids de son malheur, ce sera moi : qu’on me sacrifie. Je suis prêt à tout accepter pour couvrir l’Empereur. » L’Empereur était alors entré dans le cabinet. On y apporta la dépêche de Mac Mahon annonçant la défaite. Il exprima son mécontentement de ce que le maréchal eût livré cette bataille.

« Chacun au quartier général, me dit Maurice Richard, avait son plan qu’il voulait faire prévaloir ; chacun me prenait à part et chuchotait à l’oreille : « Dites à l’Empereur ceci, dites-lui cela. » Du reste, une confusion générale, le désordre et le désarroi partout, nulle confiance, nul respect, des critiques sans fin. C’est la cour du roi Pétaud. Au moment de son départ, l’Empereur, qui, ébranlé par les sollicitations de ses amis personnels, n’était plus opposé à un retour à Paris, lui avait dit : « Demandez au Conseil si je dois rentrer ; je suivrai