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à l’Empereur de revenir à Paris avec son fils. Je viens prier Votre Majesté de le lui télégraphier. » L’Impératrice se redressa violemment : « Avant une victoire, c’est impossible. — Mais, madame, si l’Empereur reste à l’armée il n’y aura pas de victoire ; il est l’obstacle à la victoire ; car il ne peut pas commander et il empêche qu’un autre commande. »

Cette considération parut la frapper. Elle resta un instant silencieuse, puis elle reprit, éclatant en sanglots : « Mais c’est impossible, quitter l’armée à la veille d’une bataille, c’est le déshonneur. — Non, madame, ce n’est pas le déshonneur, car un souverain ne court aucun péril personnel dans une bataille ; c’est le salut du pays et de la dynastie. — Je ne me préoccupe pas de la dynastie ; je ne me préoccupe que du pays. »

Je feignis de n’avoir pas entendu et je repris avec plus d’insistance mon raisonnement. « Au moins, dit-elle, laissez mon fils à l’armée. — Pourquoi? Que voulez-vous, madame, que votre fils fasse à l’armée ? — Mais il sait monter à cheval ! — A quoi cela servira-t-il, qu’il sache monter à cheval ! » Alors, poussée à bout, la figure illuminée elle s’écria d’une voix vibrante : « Il peut se faire tuer ! Oh ! laissez-le se faire tuer ! — Non, madame, il ne faut pas qu’il soit tué, il faut qu’il revienne avec son père, il devrait déjà être revenu. Du reste, madame, ajoutai-je, ne croyez pas que l’opinion que je vous exprime me soit personnelle, il n’est aucun de mes collègues qui n’ait le même avis. »

Chevandier prit la parole et m’appuya avec une émotion communicative. « Dans ces circonstances extrêmes, ajouta-t-il, voyant que l’Impératrice ne se rendait pas, notre devoir est de dire toute la vérité, quelque pénible qu’elle soit. Or, la vérité est que le départ de l’Empereur de Metz est non moins urgent que son retour à Paris. L’armée tout entière, officiers et soldats, le désirent pour retrouver la liberté, l’unité et la rapidité de l’action. Croyez bien, madame, que la plus grande preuve de loyauté qu’un honnête homme puisse vous donner, c’est de vous exposer ainsi toute la vérité avec cette rude franchise. Vous hésitez à nous croire, je ne m’en blesse pas ; mais vous avez là devant vous un homme (montrant Pietri) sur le dévouement duquel vous comptez depuis vingt ans et qui jouit de toute votre confiance. Eh bien ! demandez-lui, lui qui doit être renseigné aussi bien que nous, s’il conteste une seule de nos assertions. »