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qu’un roman historique, ou un poème en prose, suivant la formule de Chateaubriand. Or, ce n’est ni l’un ni l’autre : c’est un roman, sans plus.


Si l’on entend par genre faux, en littérature, un genre hybride, incapable de se suffire à lui-même, ne peut-on pas soutenir que, dans la plupart des cas, le roman historique est un genre faux, lui qui se réclame tantôt de l’histoire, et tantôt de l’imagination romanesque, sans arriver à donner à l’une ou à l’autre une valeur telle que celle-ci puisse se passer de celle-là ? En effet, la fiction romanesque y est généralement quelque chose de tellement mince, de tellement quelconque, ou de tellement invraisemblable, qu’elle a besoin du voisinage de l’histoire, pour prendre un peu de vie, de couleur, ou de réalité ; et, d’autre part, l’histoire, à son tour, y est si peu sûre, si souvent mélangée ou faussée, qu’elle a besoin, pour se produire et, en quelque sorte, pour faire excuser ses mensonges, de prendre le masque d’une fable amusante, pittoresque et mouvementée. Tel est bien, n’est-ce pas, le roman historique tel que nous le trouvons chez Walter Scott, plus tard chez Dumas père, puis chez tous les feuilletonistes, qui ont pullulé autour de lui et après lui.

Il est trop évident que Flaubert, étant l’homme qu’il était, n’a pas pu donner dans ce genre-là Et pourtant il est incontestable qu’il est passé tout près de ce genre bâtard qu’on appelle le roman historique. Lui-même n’en avait-il pas conscience, lorsqu’il écrivait, dans le débraillé habituel de son style épistolaire : « Il n’est (bêtise)[1] que je ne côtoie dans ce sacré bouquin. » Il est indéniable, en effet, que, dans Salammbô, il a côtoyé quelquefois la fausseté du roman historique. Mais, même sans son génie qui l’obligeait à viser plus haut qu’un Walter Scott, il eût encore été sauvé de ce genre par l’excellence de sa méthode. Il a voulu faire quelque chose de tout à fait nouveau, d’intenté auparavant ; il a voulu, — et ce sont ses expressions littérales, — fixer un mirage antique... appliquer à l’antiquité les procédés du roman moderne[2]. Voilà qui est clair : il ne s’agit point ici de poème en prose, ni de

  1. Correspondance, III* série, p. 186. Le mot est plus vif dans le texte.
  2. Ibid., p. 239.