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et toutes ses hypothèses reposent sur des textes ou des documens certains. Il avait lu à peu près tout ce qu’on pouvait lire, de son temps, sur Carthage. Voilà de quoi nous rassurer. N’oublions pas, cependant, que Salammbô est avant tout un livre d’imagination. Flaubert a eu soin de nous le rappeler. De même qu’il disait à propos de Madame Bovary : « Les observations de mœurs, je me fiche bien de ça ! » de même, il écrivait à Sainte-Beuve, à propos de Salammbô : « Je me moque de l’archéologie ! » Il ne s’agit pas de savoir si la coiffure de Tanit est authentique, ou si la robe de Salammbô eut été désavouée par les couturières de Carthage. Le moindre cuistre, là-dessus, peut se flatter d’en remontrer à Flaubert, — et d’ailleurs ils n’y ont pas manqué. L’essentiel est de savoir si ce mirage antique évoqué par l’imagination de Flaubert forme un tout bien cohérent, satisfaisant à la fois pour une imagination d’artiste et pour une conscience d’historien : « si les mœurs dérivent de la religion et les faits des passions, si les caractères sont suivis, si les costumes sont appropriés aux usages et les architectures aux climats... » — On peut répondre hardiment que oui et qu’on n’a jamais tenté une œuvre d’une logique interne plus solide, ni d’une plus parfaite beauté !

Mais non seulement Flaubert a su nous donner une image plausible de l’Afrique au Ve siècle avant Jésus-Christ, il nous en a donné une image toujours vivante, en nous la représentant, si je puis dire, sous ses aspects éternels. Salammbô est un livre tout plein de l’Afrique. D’abord l’auteur nous a tracé des lieux où se déroule son action un portrait si véridique, si complet et si définitif qu’il n’y a plus qu’à glaner derrière lui. Tous ceux qui ont vécu en Algérie et en Tunisie le savent bien. Lorsqu’on