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déjouer ; soutenu par le ministre des Affaires étrangères, il se décida brusquement à la guerre. L’expédition de Tripolitaine est donc le prix dont M. Giolitti paye sa loi sur le suffrage universel. C’est là du moins l’une des origines d’une décision dont les conséquences seront si considérables pour l’avenir de l’Italie.

Il n’est point, de nos jours, d’entreprise politique qui n’ait son armature financière. L’action du Banco di Roma a fortement contribué à préparer l’opinion à une guerre de conquête en Tripolitaine, et particulièrement à y rallier les milieux catholiques. C’est un curieux épisode de l’histoire des rapports du royaume d’Italie avec le Saint-Siège. Le Banco di Roma était, au commencement du règne de Léon XIII, un établissement financier de médiocre importance, fondé par des particuliers. Son directeur, Ernesto Pacelli, sut gagner la confiance de l’entourage du Pape, si bien que Léon XIII lui confia les fonds du Saint-Siège. L’appoint de ces nouveaux capitaux permit au Banco di Roma de développer ses affaires. Mais ses accointances avec le Vatican l’empêchaient de pénétrer dans le monde des affaires qui a des attaches avec le gouvernement royal et, notamment, d’obtenir pour son papier l’escompte de la Banque d’Italie. Impatient de forcer cette porte, le Banco di Roma prit conseil en haut lieu ; il avait pour président de son conseil d’administration le président de la Chambre de Commerce, frère de M. Tittoni, alors ministre des Affaires étrangères. C’était le temps où le gouvernement italien signait avec M. Delcassé les accords qui constataient que la France se désintéressait de la Tripolitaine et que l’Italie se désintéressait du Maroc (1902). Le gouvernement désirait acquérir, en Tripolitaine, des intérêts économiques qui lui permissent d’y développer l’industrie et le commerce italien, constituassent des hypothèques sur la province, et pussent au besoin fournir l’occasion d’une intervention armée. Le Banco di Roma obtint l’escompte de la Banque d’Italie, mais promit en retour de s’intéresser aux entreprises italiennes en Tripolitaine et en Cyrénaïque. C’est ainsi que furent fondées, à Tripoli et sur toute la côte, avec les capitaux et sous la direction d’un agent du Banco di Roma, M. Bresciani, ancien fonctionnaire de l’Erythrée, toute une série d’entreprises et d’affaires : huileries, savonneries, moulins, pêcheries, commerce des éponges, achat de terrains, usine électrique à Benghazi, ligne de navigation subventionnée qui a aujourd’hui quatre vapeurs. Des missions