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IV

C’était une des maximes de Cavour que l’Italie doit profiter de toutes les querelles européennes et saisir toutes les occasions pour s’agrandir et gagner. Le conflit franco-allemand offrait aux Italiens une tentation, en même temps que le Maroc éveillait leur appétit. Dès la fin d’août, le Corriere d’Italia, la Stampa, imaginaient la théorie du droit de l’Italie à des « compensations. » Ces compensations, le Cabinet de Rome pouvait croire le moment venu de les réclamer.

L’Italie avait en Europe une situation diplomatique exceptionnellement favorable. M. Delcassé avait, depuis 1900, par un échange de notes secrètes, promis de ne rien faire qui pût contrecarrer l’action de l’Italie en Tripolitaine ; la France, bien qu’elle n’en connût pas la portée exacte, ne pouvait que faire honneur à la parole donnée en son nom. Durant la crise d’Algésiras, l’Italie, malgré les très vives instances de Berlin, avait fait passer ses engagemens méditerranéens avant la solidarité triplicienne ; son plénipotentiaire, le marquis Visconti-Venosta, avec tout le prestige de son âge, de son caractère et de ses services, s’était rangé du côté de la France et de l’Angleterre. L’Italie, à Algésiras, a tiré sur la France une lettre de change que nous ne pouvions manquer de lui rembourser à échéance. Dans une passe difficile, comme celle de l’été 1911, il eût été de toutes façons de notre intérêt de ne pas contrecarrer les visées de l’Italie. Les Jeunes-Turcs nous avaient donné, par leur politique agressive, de légitimes sujets de plainte ; ils nous avaient maladroitement cherché noise en envoyant des officiers dans le Borkou, dans le Tibesti, à Djanet, et en contestant mal à propos, en plein Sahara, des frontières fixées par la convention du 21 mars 1899. Le Cabinet de Paris fit donc bon accueil à l’entreprise italienne, malgré les dangers qu’elle pouvait faire courir à la paix générale. La presse française s’abstint de critiquer trop vivement la manière insolite dont les Italiens avaient brusqué les pourparlers et précipité l’agression. La presse anglaise se montra moins indulgente ; les journaux radicaux et puritains ne manquèrent pas de rappeler, avec hauteur et sévérité, l’Italie au respect du droit des gens et des principes de la justice internationale. Toutefois, la diplomatie britannique, qui n’a pas eu,