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de fait qui existait, en vertu du traité de Berlin, depuis 1878. Sir Thomas Barclay, dans un livre très intéressant[1], a établi surabondamment ces fréquens oublis des règles internationales généralement admises. Dès le 19 septembre, le Secolo qui, au milieu de cette prodigieuse poussée nationaliste, a, presque seul, gardé toute la liberté de son jugement, écrivait :

« On chercherait en vain la cause de cette expédition (projetée). On ne trouverait même pas un prétexte occasionnel pour la motiver. Avons-nous jamais insisté auprès de la Turquie pour qu’elle cesse de boycotter notre commerce? l’a-t-il eu des représentations diplomatiques? Marcherions-nous à la conquête d’un pays comme des barbares, sans le moindre avertissement, sans pouvoir invoquer un motif quelconque capable de légitimer notre acte? On nous répond que le moment est venu d’agir et qu’il faut nous presser, afin de ne pas laisser aux autres le temps de nous précéder. Mais qui sont les autres? Ce n’est pas la France, l’Angleterre non plus ; elles nous en ont donné l’assurance. Serait-ce l’Autriche ? L’hypothèse est ridicule. L’Allemagne alors? L’idée, il est vrai, a germé dans le cerveau d’un journaliste qui a oublié que ni l’Angleterre ni la France ne le permettront jamais. Une expédition serait ruineuse pour l’Italie, l’occupation ou le protectorat le serait tout autant. Nous tenons « à dégager notre responsabilité et à affirmer dès à présent que l’Italie a bien d’autres moyens à sa disposition pour devenir ce qu’elle devrait être, une puissance forte et considérée. » Le Secolo avait raison sans doute ; mais à quoi bon raisonner en face de tout un peuple entraîné par sa passion? On pourrait presque dire qu’avoir raison, dans de telles conditions, c’est avoir tort, si l’histoire et l’avenir n’étaient là pour établir, plus tard, les responsabilités en les mesurant aux conséquences.

L’histoire militaire de la guerre de Tripolitaine n’est pas de notre ressort ; il serait d’ailleurs impossible de l’écrire : les nouvelles, du côté italien, sont sévèrement censurées, et aucun correspondant de guerre impartial n’a été admis à rester avec les troupes. Les nouvelles du côté turc ne sont pas moins impossibles à contrôler. Bornons-nous à noter certains faits indiscutables pour les répercussions qu’ils ont eues sur la tournure des événemens politiques.

  1. The Turco-Italian war and its problems, Londres, Constable, 1912, in-8.