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apportait eût paru plus distincte, et sa grêle chanson ne se fût pas perdue. Les conditions de la peinture, dans le milieu où il vécut, ne permettaient pas ce parti : son art charma ce public peu critique. Pendant quarante ou cinquante ans, de Gênes à Toulon, il fut le peintre ordinaire de la côte ligure. Peu de paroisses, à quinze, à vingt lieues de la mer, qui ne voulussent avoir un tableau de sa main. Il est le Pérugin des Alpes Maritimes. Et il eut un peu le même sort que le maître ombrien. Son talent succomba au nombre des commandes. Son joli sentiment, dilue dans des œuvres trop vastes, peu nourri de substance et d’études, était incapable de suffire à la tâche qui lui échut. Les ouvrages de sa vieillesse, comme le Calvaire de Cimiez, sont d’une débilité extrême ; à peine quelques têtes navrées, quelques visages crispés de larmes contenues, rappellent l’aimable lyrique qui s’annonçait près de là dans une page de jeunesse. Ses meilleures œuvres, dans un musée, feraient pauvre figure. Elles sont inséparables de l’atmosphère où elles sont nées, des autels où elles ont longtemps alimenté la foi. Il faut les voir chez elles, par exemple à Taggia, non loin de San Remo, dans l’église dominicaine émergeant à demi parmi les oliviers, et qui est le sanctuaire favori de Brea. On y conserve une dizaine de ses peintures. Lorsqu’on les aperçoit le soir, dans la grande nef déserte et aujourd’hui désaffectée, près du cloitre maintenant transformé en caserne, une piété vous prend pour ces pages délaissées ; on dirait l’esprit opiniâtre qui s’attache en secret à ces voûtes violées ; on ne voit plus en elles que le sentiment qui les dicta, et on y trouve alors la subtile mélancolie d’une rose qui se dessèche et d’un parfum qui s’évapore.

Mais le plus singulier génie de la contrée est un peintre moins connu encore que Brea. Aucune histoire ne nomme seulement Giovanni Canavesi. C’était un clerc, prêtre ou chapelain, comme il s’intitulait ; il était de Pignerol, et voilà tout ce qu’on sait de lui. Cet homme de Dieu tenait du ciel le don le plus curieux de l’apostolat par l’image. C’est un prédicateur brutal, escarpé, frénétique, une espèce de Barelette ou d’Olivier Maillart qui, au lieu de la parole, manient le pinceau. On rencontre parfois dans les ordres, même encore de nos jours, la vocation des arts jointe au zèle des âmes. On voit à Murols, en Auvergne, une série de fresques du curé. Le P. Besson en a laissé à Rome de charmantes. Canavesi porte en ce genre une fougue sainte. Rien ne