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sur sa récolte. Des œuvres ainsi créées sont bien autre chose que de l’art : elles sont de l’amour et de la foi visibles.

Ici encore, comme partout au moyen âge, la religion a été la seule poésie. La Corniche est de tout temps une de ses grandes routes. En Allemagne, le Rhin, qui de Constance à Cologne a charrié tant d’idées, de civilisations, s’appelle la Pfaffengasse, la « rue aux prêtres : » ce pourrait être aussi bien le nom de la Corniche. Les moines étaient surtout, dans cette période de l’histoire, l’élément vagabond de la société. C’étaient les « gyrovagues, » les voyageurs infatigables qui sillonnaient le monde, l’édifiant, le scandalisant, et promenant partout, sur toutes les poussières, leur bure, leur capuchon, leur corde et leurs sandales. C’est l’époque où les ordres mendians essaiment par toute l’Europe. On a vu que les Dominicains s’étaient fixés à Taggia. Les franciscains s’échelonnaient sur presque tout le parcours : Grasse, Sospel, Vintimille étaient de leurs maisons. Chaque ordre en posséda bientôt une à Nice même. Celle des franciscains se voit encore aujourd’hui sur la place Saint-François : l’église est devenue une Bourse du Travail, le cloître est changé en écurie ; c’est pourtant un des rares endroits de la ville qui retienne quelque chose de son mouvement et de son pittoresque d’autrefois.

Et c’était, entre tous ces points, un va-et-vient perpétuel, un renouvellement continu de partans, d’arrivans. Le monde avait déjà ce chemin pour passage, battait cette route fameuse qui côtoie les plus nobles sites, et circule en terrasse entre les montagnes et la mer. Je n’ai jamais lu sans joie les pages de la chronique du bon Salimbene, où il rapporte ses souvenirs de la côte d’Azur. Il s’y attarde avec un plaisir évident. La mer, les petits ports, les barques, les salines d’Hyères, et jusqu’à certains jours accablans de mistral, — le frate évoque tout cela en images précises, dont son méchant latin est encore égayé. Il a joui en artiste de cette nature radieuse. C’est là qu’il faisait bon, au bord des rades, devant le vaste calme bleu, écouter les rumeurs lointaines de la vie, calculer l’âge de l’Antéchrist, et méditer les rêves de Joachim de Flore. Là fut vécu un des plus gracieux épisodes de l’histoire franciscaine. On se plaît à imaginer parmi les olivettes l’ami de Jean de Parme, le docteur, le mystique, le doux Hugues de Digne, qui captivait adversaires mêmes au miel de ses discours. Avec sa sœur sainte Douceline, la