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courent les pardons, et gagnent leur vie à réciter sòniou et gwerziou ? Placé devant une pancarte quadrillée de grossières enluminures, l’aède, une pochette sous le menton, nasille sa complainte ; et, du bout de l’archet, il désigne sur la pancarte, avant la ritournelle, l’image qui correspond à chaque nouveau couplet.

Telle est la Danse du Bar : une grande affiche sur bois, qui développe sur deux colonnes un long sermon en provençal. C’est une remontrance en vers, une adjuration pressante au pécheur qui oublie son âme et ne pense qu’à jouir. Au-dessus, une image illustre ce mandement. Elle n’a aucune valeur d’art, mais comme elle est curieuse, cette vignette ingénue qui exprime de grandes et redoutables vérités dans un style de peintre d’enseignes ! Comme il est bien de son pays, l’auteur de ce tableau ! Nul souvenir de la lugubre procession, organisée par quelque théologien de Paris, telle qu’elle se déroulait dans un ordre sinistre, au cimetière des Innocens ; nulle trace d’Holbein, de son humour farouche et de sa formidable Comédie de la mort. Tout demeure ici local, spontané, populaire.

On danse. Quoi. !^ Le branle national, la longue et vive farandole. Voici le meneur du jeu, le galant tambourinaire, le joli Valmajour qu’on trouve encore sous les platanes le dimanche, avec son galoubet et son « tutu panpan, » Il siffle, il sonne, et les couples, d’un pas rythmé, ondoient en souriant et en se donnant la main. Sur la tête de chaque danseur, vibre une mouche noire, qui est un mauvais ange. Cependant, l’arc en main, telle qu’un adroit chasseur qui ne perd pas un coup, la Mort tire sans relâche et vide son carquois. Deux des farandoleurs viennent d’être touchés : leurs doigts se quittent, l’homme pivote en battant des bras, un pied en l’air, la femme se renverse et s’abat à genoux. Un troisième déjà git sur le dos à terre, et le diable, subitement grandi, lui extrait l’âme de la bouche. Près de là, saint Michel, en soutane d’enfant de chœur, pèse les trépassés. Les âmes trouvées trop légères s » nt précipitées dans la gueule flamboyante de l’Enfer. Au-dessus, Jésus-Christ apparaît dans les nues.

Cette moralité, d’un genre unique en France, est la sœur des compositions qu’on trouve aux environs de Come ; elle ne ressemble à rien tant qu’à une taroletta siennoise, conservée à Berlin, et où l’Archer funeste massacre un brelan de joueurs.