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Simon m’a demandé si nous voulions faire fusiller tous les députés, et il a ajouté qu’il s’offrait (Rires à droite), je tiens à le rassurer, » Jules Simon se récrie : il n’a pas parlé au ministre ; c’est à la Chambre qu’il a dit : « Si vous voulez recourir à la violence, nous vous attendons. » Le tumulte cependant ne cesse de s’accroître ; les vociférations se croisent de tous les côtés ; le président est contraint de se couvrir et de suspendre la séance. Jules Simon se précipite, au milieu des journalistes et des citoyens, dans la salle des Pas-Perdus, et, les bras croisés sur la poitrine, crie : « Un Granier de Cassagnac vient de proposer qu’on fusille tous les députés de la Gauche. »

J’assistais le dégoût dans l’âme à ce pugilat indécent. J’avais cessé virtuellement d’être ministre tant qu’un vote de confiance ne m’avait pas rendu l’autorité. Si la Chambre me l’avait donné, certes, je n’aurais pas laissé à Granier de Cassagnac le privilège de démasquer les hypocrisies ; je ne l’eusse fait ni avec plus d’éloquence, ni avec plus de courage ; mais avec plus de justesse politique, et les emportemens séditieux de la Gauche seraient devenus un des considérans probans de l’acte d’accusation que j’aurais rédigé au sortir de la séance. Mais je ne me souciai pas de m’exposer à de nouveaux outrages au profit de ceux qui travaillaient à me frapper dans le dos.


IV

Jules Favre avait compromis les affaires de son parti en démasquant trop tôt ses pensées, et en ne transperçant les ministres que pour atteindre l’Empereur. Picard essaya de les rétablir, en écartant l’Empereur et en concentrant l’effort de son attaque sur le Ministère seul. Jérôme David, en lui répondant, vint alors porter à l’Empire le coup le plus cruel qu’il eût encore reçu. Son discours débuta patriotiquement en rappelant que c’est de notre côté qu’avaient été la bonne foi et la sincérité et de l’autre le désir et la préméditation de la guerre, et que nous ne pouvions éviter la guerre sans abdiquer notre rôle en Europe. Il attesta l’héroïsme de nos soldats dont il avait été témoin, puis, tournant court, il expliqua nos revers par ce fait : « La Prusse était prête, et nous ne l’étions pas. » Jeter au public ces paroles, même suivies d’une prédiction de revanche, c’était jeter aux Prussiens un encouragement et à notre armée la désespérance.