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chute est nécessaire ; ce sera un répit gagné et la possibilité de se retourner assurée ; n’obligez pas d’anciens amis comme moi, qui vous resteront toujours attachés, à voter contre vous ; donnez votre démission. — Jamais, répondis-je, ce serait une lâcheté, un aveu d’incapacité ou de culpabilité. » Thoinnet reprit : « Mais si nous vous présentions une lettre signée par les Cent seize, vous priant dans l’intérêt public de vous retirer, le feriez-vous ? — Certainement, j’attacherais à cette manifestation la même importance qu’à un vote hostile de la Chambre. » Alors il se mit en mouvement ; mais, au bout de quelques instans, il revint et me dit : « Cela ne peut aller. — Vous avez raison, répondis-je, j’étais moi-même revenu sur mon premier acquiescement ; je ne dois m’en aller que devant un vote formel et public. — Vous n’en voudrez pas, n’est-ce pas ? fît Thoinnet ému, à ceux de vos amis qui, s’inspirant du salut public plutôt que de l’amitié, voteront contre vous ? — Comment leur en voudrais-je, répondis-je, non sans quelque ironie, de placer le pays au-dessus de leur amitié ? »

Thoinnet s’était éloigné, lorsque je vis arriver à moi Persigny. Sa sortie véhémente du matin contre le retour de l’Empereur à Paris l’avait mis en faveur auprès de l’Impératrice. Etant venu se renseigner aux Tuileries, il avait été reçu aussitôt, avait trouvé Palikao et appris qu’il allait être ministre de la Guerre. Persigny approuva chaudement, mais il pensa que Palikao ne pouvait suffire à la situation dès que le Parlement était réuni : mon maintien aux affaires lui parut indispensable, nul autre n’étant en mesure de me suppléer et de tenir tête à ces manifestations violentes de l’Opposition contre lesquelles j’étais aguerri. L’Impératrice lui répondit qu’il n’était pas plus en son pouvoir de maintenir que de renverser M. Emile Ollivier, et que tout dépendait du Parlement ; elle avait reçu du président de la Chambre un message l’invitant à composer un nouveau ministère, le ministère Ollivier étant irrévocablement condamné, l’ad- jonction de Palikao ne le sauverait donc pas. Toutefois, Persigny insistant, elle consentit à ce que cet expédient fût tenté, et Persigny venait me le proposer : u Montez à la tribune, annoncez que Palikao est ministre de la Guerre et vous resterez. » C’était inacceptable. Je ne pouvais faire entrer Palikao dans le Ministère, d’abord sans m’être assuré de l’assentiment de mes collègues, dont j’étais loin d’être sûr, ensuite sans avoir obtenu du