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l’armement des gardes nationaux (il avait d’abord dit de Paris, il ajouta de France), l’autre proposant l’institution d’un comité de défense. L’urgence de la première fut votée à l’unanimité. La seconde aurait dû être écartée, et Schneider aurait dû persister dans son refus de la mettre en délibération en la déclarant inconstitutionnelle, comme il l’avait fait au début de la séance. Mais en ce peu d’heures la grâce efficace de la révolution avait si subitement agi sur son esprit que, ne se souvenant plus ni de ce qu’il avait dit ni de son devoir de défenseur de la Constitution, il devint le complaisant de ses destructeurs et ouvrit la route à leur premier succès. Il mit aux voix l’urgence. Elle fut repoussée. Cependant elle réunit 53 votes, parmi lesquels celui de Thiers, et cette minorité inusitée fut considérée avec raison par les Irréconciliables comme la promesse d’une défection prochaine plus complète, car on y trouvait les noms de députés jusque-là fidèles à l’Empire.

Il me restait à clore cette triste séance par la lecture de ma lettre de démission. Je montai à la tribune et je dis : « Après le vote de la Chambre, les ministres ont présenté leur démission à l’Impératrice régente, qui l’a acceptée, et je suis chargé par elle de vous déclarer qu’avec l’assentiment de l’Empereur, elle a chargé le comte Palikao de former un ministère. (Applaudissemens à droite et au centre. — Bruit à gauche.) J’ajoute que pendant les quelques heures qui nous séparent de la formation du Ministère, nous continuerons à remplir notre devoir et que le nouveau ministère, quel qu’il soit, peut compter de notre part sur l’appui le plus ardent, le plus fidèle et le plus dévoué. » (Nouveaux applaudissement à droite et au centre.)

A la suite de la séance, parmi les membres de la majorité, qui nous avaient condamnés par peur, ce fut à qui m’entourerait, me serrerait la main. « Vous n’êtes pas tombé du pouvoir, me disait l’un, vous en êtes descendu. — Le régime parlementaire est fondé, » disait l’autre. — « Maintenant on peut vous parler, » dit Gambetta en me tendant la main. A ce mot : « Le régime parlementaire est fondé, » je me retournai vers mon fidèle Adelon, dont j’avais pris le bras, et je dis : « C’est l’Empire qui est mort. Dieu veuille que ce ne soit pas aussi finis Franciæ. »

Jules Simon a très bien décrit les sensations de la foule de curieux, de révolutionnaires, de socialistes, de républicains,