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patriotisme, la tradition de Carnot était vaincue par celle de Talleyrand.

Même aux temps d’aberration générale, il est toujours en France un ou plusieurs hommes qui résistent au courant d’insanité ou de lâcheté, et font et disent ce que tous auraient dû faire et dire. Trois hommes considérables désapprouvèrent la politique de la collaboration avec l’invasion.

Le comte de Chambord, représentant auguste du principe que l’Empire avait battu, souffrant d’être éloigné depuis sa naissance du pays constitué par ses ancêtres, écrivait à un de ses amis, le 1er septembre, alors que sa parole devait profiter à un gouvernement qu’il haïssait : « Il faut oublier en ce moment tout dissentiment, mettre de côté toute arrière-pensée ; nous devons au salut de notre pays toute notre énergie, notre fortune, notre sang. La vraie mère préférait abandonner son enfant plutôt que de le voir périr. J’éprouve ce même sentiment, et je dis sans cesse : « Mon Dieu, sauvez la France, dussé-je mourir sans la revoir ! »

Le plus remarquable, après l’incomparable Duc d’Orléans, de tous les fils si distingués de Louis-Philippe, le prince de Joinville, écrivait : « Je ne comprends rien à la Chambre, je ne comprends pas qu’il se prononce un mot, qu’il se fasse un acte ayant un autre but que de venir en aide aux armées, seul espoir de la France aujourd’hui. Quel que soit le gouvernement actuel, il vaut mieux, tant qu’on a chance de résister, que le provisoire, par le seul fait qu’il est organisé[1]. »

Changarnier exilé, proscrit, dont la carrière avait été brisée en plein épanouissement, et que nous avions tous vu dans l’hémicycle du Corps législatif, frémissant d’aise aux discours hostiles de Thiers, oublie ses colères, ses griefs et court à Metz, parce que l’Empereur est le symbole de la Patrie.

Mais les lettres des princes demeuraient dans un cercle restreint et l’acte de Changarnier fut à peine remarqué ; il étonna plus qu’il n’enthousiasma. Le sentiment des politiciens de toute nuance était dans la rebuffade de Schneider à ce pauvre Pire qui demandait qu’on fût uni dans le danger : « Ne donnez pas, par excès de zèle, un déplorable exemple. »

Le voilà renversé, ce ministère qui avait réalisé déjà tant de

  1. Prince de Joinville à Bocher, Lettre du 10 août 1870.