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il ne connaissait pas les hésitations ; il allait droit au but qu’il s’était assigné jusqu’à ce qu’il l’eût atteint ; il n’avait pas eu l’occasion, comme la plupart de ses frères d’armes, de pratiquer la grande guerre, puisqu’il n’avait participé ni à la guerre de Crimée, ni à celle d’Italie et que ce n’est pas en Chine qu’il avait pu l’apprendre, mais certainement, quoiqu’il fût déjà appesanti par ses soixante-quatorze ans, s’il eût été à Bitche, à la place de Failly, ou à Forbach, à la place de Frossard, nous n’eussions pas éprouvé ce jour-là deux défaites. Allait-il maintenant se révéler grand stratège et organisateur de la victoire. » On voulait l’espérer. Ce dont personne ne doutait, c’est qu’il serait absolument incapable de pourvoir aux exigences de la politique intérieure et de tenir en main une assemblée. À cause de cela, le choix de ses collaborateurs était d’importance majeure et aucun d’eux n’était de taille à suppléer à son insuffisance politique et parlementaire.

Busson-Billault, sûr, actif, intelligent, homme d’affaires expérimenté, orateur agréable et disert, n’était pas préparé aux actes vaillans et au maniement des grandes affaires. Chevreau, administrateur habile, homme d’esprit et de tact, de relations aimables, préférait les douceurs épicuriennes de la vie commode à la fatigue des luttes. Brame n’était qu’un hâbleur madré et sans consistance qui n’avait aucun dévouement à donner à qui que ce soit. On savait, de reste, que Magne était décidé à ne pas sortir de sa spécialité financière et qu’il avait toujours évité de se lancer dans le branle-bas des combats. La Tour d’Auvergne, moribond, découragé, n’avait plus, malgré sa bonne volonté, d’activité à consacrer à un office public. Grandperret, plumitif glacé et inerte, n’était capable que d’aligner des phrases bien faites qu’il récitait pompeusement : après le 4 septembre, il s’est targué auprès des vainqueurs de sa modération ! Jérôme David, ancien officier, bravache élégant, posant pour le foudre de guerre, s’était donné le renom d’un type d’intrépidité, mais il n’avait convaincu personne de ses capacités intellectuelles et sa déclaration « que nous n’étions pas prêts, » faisait douter à la fois de son discernement, de sa véracité, de son patriotisme. Duvernois, homme de sac et de corde, était prêt à toutes les audaces, même bonnes. Cependant, quoique aucun scrupule ne le gênât, les compromissions avec la Gauche, auxquelles l’avait poussé sa passion de nous renverser, ses récentes manifestations