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physiques, intellectuelles, morales, qu’il serait impossible à l’esprit humain de renouveler une seconde fois au même degré.


A Paris on était de plus en plus mécontent. Le refus de livrer Le Bœuf avait fini par exaspérer. Kératry demanda à la Chambre qu’il fût appelé devant une Commission d’enquête. « Le maréchal Le Bœuf est devant l’ennemi ! il faut l’y laisser, » s’écria Chevandier. La proposition fut écartée, mais l’animosité contre le maréchal n’en fut que plus vive. A la suggestion de l’Impératrice, Conti, le chef du cabinet de l’Empereur, lui télégraphia : « Il est prudent de ne pas résister davantage aux exigences même injustes de l’opinion (12 août). » Palikao de son côté recourut à des procédés inconnus jusque-là vis-à-vis de l’Empereur : il lui accorda deux heures pour que la démission fût envoyée ; sinon. Le Bœuf serait destitué. Alors enfin l’Empereur s’exécute (12 août) et l’Impératrice le remercie : « Vous avez fait une bonne chose ; je vous embrasse bien tendrement et je vous remercie de ce grand sacrifice que vous avez fait. » Cette joie fait mal.

L’Empereur, inébranlable jusqu’au bout à ne pas attribuer à son major général une responsabilité qui était la sienne, se sacrifia lui-même après avoir sacrifié Le Bœuf. Du reste, il n’était pas libre de ne pas le faire. A Paris, des politiciens déloyaux ou mal instruits pouvaient attribuer à Le Bœuf les tergiversations, les contre-ordres qui nous livraient sans défense à l’invasion ; mais à l’armée, où l’on voyait la réalité, personne n’incriminait Le Bœuf ; au contraire, le tolle contre l’Empereur était général.

Dans les bivouacs on exprimait ouvertement le vœu qu’il choisit un commandant en chef et qu’il quittât Metz, débarrassant les troupes de ses indécisions et de l’encombrement de sa cour. Après une visite faite au camp par un de ses officiers, l’Empereur comprit qu’il n’avait plus à s’attarder. Il appela Bazaine et, en présence du prince Napoléon, lui annonça qu’il le mettait à la tête de l’armée du Rhin. Bazaine, qui n’avait ni souhaité, ni poursuivi ce terrible commandement, refuse ; Mac Mahon et Canrobert sont ses anciens, plus aptes que lui. Canrobert est mandé ; il refuse lui aussi : « L’opinion et l’armée indiquent Bazaine ; quoique plus ancien, il se rangera bien volontiers sous ses ordres. » L’Empereur écarte le refus de Bazaine par quelques mots péremptoires : « L’opinion publique.