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sorte de découragement, une neurasthénie collective qui se serait emparée de certains groupes d’indigènes de la province d’Oran et aurait provoqué, parmi eux, une émigration en Syrie, d’où la plupart seraient revenus très désillusionnés de l’hospitalité de l’Empire ottoman.

On a beaucoup disserté sur l’établissement de la conscription parmi nos sujets musulmans : la faiblesse de plus en plus évidente de nos effectifs nationaux et l’exemple de la Tunisie où le recrutement a été établi par le bey, avant l’occupation française, ont fait poser, en Algérie, ce très grave problème. Nous avons, quant à nous, dès la première heure, nettement combattu ce projet. Il nous semble qu’il recèle, pour l’avenir, les plus redoutables dangers. Que la France augmente, au moyen des sacrifices pécuniaires nécessaires, ses bataillons de tirailleurs algériens, composés de volontaires, attirés par des primes, et liés solidement à la France par des pensions de retraite, c’est la méthode suivie, dans les temps modernes et dans l’antiquité, par tous les peuples habilement colonisateurs. Mais que, à une population dépourvue de droits politiques, traitée en mineure au point de vue administratif et subordonnée socialement à une quantité sept ou huit fois moins considérable d’habitans d’une autre race, la France aille imposer le lourd fardeau du service militaire obligatoire, cela nous parait une imprudence qu’aucun peuple colonisateur n’a encore commise. Supposons que, dans une douzaine ou une quinzaine d’années, l’Algérie compte, sous le drapeau français, 30 ou 40 000 soldats indigènes recrutés par le service obligatoire, qu’en outre, dans la population indigène, il y ait 120 000 à 150 000 anciens soldats, ayant appris sous le drapeau le maniement des armes, ayant éventuellement certains cadres indigènes aussi, qui pourrait répondre que, au cas où la France se trouverait engagée dans une guerre avec une puissance européenne, toute cette masse militaire musulmane resterait indéfectiblement fidèle à la France ? Si un mouvement d’opinion quelconque la soulevait et l’entraînait contre nous, ne serait-ce pas risquer la perte de la colonie ? Un peuple prudent ne s’expose pas à de semblables aléas.

A tout le moins, la population indigène, une fois armée par nous, prendra conscience de sa force et revendiquera des droits. Les 4 700 000 musulmans, sujets français, voudront être traités en citoyens français, au même titre que les 450 000 colons