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contact de Julie et de Saint-Preux ! « O toi, par qui je commence de vivre, écrit à Jean-Jacques l’un de ces dévots obscurs, reçois les prémices de ma nouvelle existence ! » Jeunes hommes et jeunes femmes, ils sont légion ceux qui lui disent le même merci en des lettres inépuisables et délirantes. Comment toutes ces invocations de disciples et ces déclarations d’adoratrices n’auraient-elles pas encouragé Jean-Jacques à aller jusqu’au bout de sa pensée ? Et ne seraient-ce pas elles qui l’auraient enhardi jusqu’à oser les plus impudens aveux des Confessions ?

Mais il y a peut-être, dans ce dossier épistolaire, des paroles plus émouvantes que les paroles de reconnaissance, que les actions de grâces, si lyriques qu’elles soient ; ce sont les appels des âmes en détresse, qui se tournent vers Jean-Jacques comme vers le Sauveur du siècle. Nombreux sont les supplians, les inquiets, les tourmentés, qui étalent devant lui « leur âme déjà malade. » « Ayez pitié d’elle, monsieur, lui écrit la jeune Henriette, et montrez-moi la route qui peut conduire au bonheur, au moins à la paix du cœur... Apprenez-moi à vivre, monsieur, c’est-à-dire apprenez-moi les moyens qui peuvent me rapprocher le plus du bonheur. » N’est-elle pas symbolique cette plainte de jeune fille ? N’est-ce pas la plainte du siècle malade, en quête du remède qu’il ne sait où trouver ?


II

Au reste, il ne faudrait pas imaginer, — ai-je besoin de le Dire ? — que ces manuscrits de Jean-Jacques nous livreront quelque grand secret insoupçonné. Si utiles ou révélateurs qu’ils soient, il ne faudrait pourtant pas que la séduction de leur nouveauté fit négliger les grandes œuvres maîtresses où Rousseau a mis le meilleur de lui-même : c’est là qu’est son secret, si toutefois il en a un. Mais ces grandes œuvres, comment les lire ? Comment les lire, quand on ne veut pas tant les admirer ou les combattre que les connaître telles qu’elles sont ? Les panégyriques de Jean-Jacques abondent, et aussi les réquisitoires contre lui. Pour ce genre de travaux, beaucoup d’ardeur servie par un peu d’éloquence ou d’esprit suffira. Essayer d’expliquer le système de Rousseau par ce qu’on croit être ses prolongemens, est une méthode tentante peut-être, mais périlleuse. Il me paraîtrait beaucoup plus sûr, quoique, sans doute,