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Jean-Jacques Rousseau est un Genevois, c’est-à-dire qu’on peut retrouver Genève, son passé, ses habitudes, ses mœurs, sa foi, dans le plus illustre de ses citoyens. Ce n’est point là, je pense, une thèse paradoxale ; elle serait même une vérité évidente, si deux ou trois générations de Français, en annexant Rousseau à leur littérature avec un sans-façon trop affectueux, n’avaient peu à peu, dans l’opinion européenne, détaché cette gloire genevoise de sa souche indigène. Un autre Genevois, qui avait comme Rousseau « l’amour de la cité et la fierté de lui appartenir, » M. Gaspard Vallette, vient de consacrer tout un livre, — livre très remarquable et qui fut malheureusement son dernier ouvrage, — à mettre en valeur cette vérité, avec une richesse et une précision d’argumens qui la rend plus saisissante. Jean-Jacques n’a vécu à Genève qu’une quinzaine d’années, et quinze ans d’enfance ou d’adolescence ; mais exilé volontaire, citoyen proscrit, ou citoyen démissionnaire, il est toujours resté Genevois par le cœur et par la piété du souvenir. Le titre de Citoyen de Genève, qui pendant neuf ans s’étalera avec orgueil, sur ses livres de doctrine, ne sera pas seulement une coquetterie d’écrivain, mais un témoignage conscient de gratitude filiale. Plus tard même quand il y aura renoncé, il ne pourra pas cependant renoncer à toute l’hérédité genevoise qui pesait sur son esprit, sur ses goûts, sur ses sentimens, sur sa conception pratique de la vie. Mais ici un Français est obligé de se récuser à demi : « Rousseau, affirme M. Vallette, est un avenaire de chez nous. » Je dois avouer que j’ignorais et le mot et la chose. Un avenaire, parait-il, est un bourru grondeur, un peu rogue et très irritable, au demeurant ami sur, esprit indépendant et loyal. J’ai l’honneur de connaitre quelques Genevois ; mais la très aimable courtoisie que j’ai rencontrée chez tous ne m’a pas encore permis d’apprécier ces qualités un peu acides de la race. On comprendra, du reste, que je tourne court avant d’arriver à un compliment, car on sentirait trop, si je m’y risquais, que je ne suis point de Genève ; et, en ce moment du moins, j’en ai presque honte. Admettons donc qu’il y a, ou qu’il y a eu, des avenaires genevois, et que Rousseau fut le plus représentatif de tous. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il eut, comme tous les Genevois, un âpre besoin d’indépendance, l’amour de son lac et des montagnes qui l’entourent ; comme beaucoup, la fierté ombrageuse du républicain et la gaucherie de l’homme simple