Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fleurs et fruits, tout y est d’une exactitude scrupuleuse et garantie. Le Roi est vêtu de la kandys, sorte de robe médique qu’il ne faut pas confondre avec les autres robes, qui sont des robes et ne sont pas des kandys. Il est coiffé de la kitaris qui est une mitre en feutre et non pas un diadème, et il tient en main un sceptre d’or, ce qui est l’usage commun aux rois de tous les temps et de tous les pays, à table et ailleurs. Il y a sept jours et sept nuits que dure le festin. Cela excuse un peu de lassitude qui commence à s’emparer des convives et du Roi. Celui-ci, pour en renouveler l’intérêt, fait paraître dans une loggia son épouse préférée, Vasthi. Il exige qu’elle se mette nue devant l’assistance. J’ai oublié de vous dire qu’il est complètement ivre. Comme elle refuse, il lui lance une flèche. Elle tombe morte… Nous sommes loin du dialogue entre les deux amies qui se retrouvent :

Est-ce toi, chère Élise ?…

Il faut remplacer Vasthi. L’ordre a été donné de chercher parmi les jeunes filles les plus belles des cent vingt-sept royaumes sur lesquels règne Assuérus… Mais il n’est pas nécessaire de suivre la pièce dans tous ses développemens ; et nous pouvons arriver tout de suite au dernier acte qui en est la partie la plus originale. Esther a obtenu de l’amoureux Assuérus la grâce de Mardochée, le supplice d’Aman et des dix fils d’Aman. Elle reste pensive. Que lui faut-il encore et qu’attend-elle pour contenter les ardeurs du Roi, qui devient de plus en plus pressant et qui même s’impatiente ? Il faut, à cette charmante femme, la mort de tous ses ennemis — ils sont des milliers — tout simplement. Assuérus s’étonne qu’elle pense à de telles choses en de tels momens :

ASSUÉRUS

Quoi ? Même en ce moment, ma pâle bien-aimée.
Peux-tu de tels soucis avoir l’âme alarmée ?
Non, non. Ne pensons plus aux hommes jusqu’au jour.
Je suis la force unique et toi l’unique amour,
Rien, dans cette minute ineffable et profonde.
Ne compte plus pour nous qui sommes seuls au monde.
Et je baise ton front, tes lèvres et tes yeux.

ESTHER

Mais combien notre amour sera plus furieux,
Quels seront mes transports de folie et de joie,
Et combien cette nuit, où je serai ta proie,
Aura plus de fatale et tragique splendeur,
Si l’heure où je succombe en tes bras a l’odeur
Des matins de carnage et des soirs de victoire !