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du sort à son endroit. Et si personne, assurément, ne s’avisera plus maintenant de juger criminelle la conduite de la femme de George IV, bien des lecteurs s’étonneront de l’étrange hasard qui a soudain transporté au milieu de l’une des cours les plus raffinées de l’Europe une princesse beaucoup plus « provinciale » encore, et moins « royale, » que la pauvre Anne de Clèves, cette autre « reine privée de ses droits. »

Presque tout le second volume de l’ouvrage de M. Lewis Melville est consacré au récit du séjour de Caroline hors d’Angleterre, de sa rentrée à Londres et de son procès devant la Chambre des Lords. Avec sa précision et sa clarté habituelles, le biographe s’attache à nous démontrer que les témoignages apportés d’Italie contre la princesse ne sauraient avoir aucune valeur, étant manifestement les résultats d’un véritable complot ourdi par des agens dénués de scrupule, et qui exploitaient à leur profit l’aveugle crédulité du mari de l’accusée. Il est sûr que ces témoignages d’anciens serviteurs, même quand leur fausseté n’est pas formellement établie, ont une odeur et un son des plus déplaisans. Une reprise du procès devant la Chambre des Communes aurait sûrement achevé de mettre en lumière l’origine suspecte de ces dénonciations ; et c’est sans doute ce qu’ont voulu éviter les ministres, en retirant leur bill. Mais la preuve parfaite, irréfutable, de l’innocence de Caroline, sur ce chapitre de ses relations avec Pergami, nous la trouvons surtout dans l’attitude incessante de l’accusée à l’égard des griefs allégués contre elle. Il y a là, dans ses lettres comme dans ses confidences verbales, un ton de surprise, puis d’indignation, et puis de dénégation tranquille et obstinée qui serait impossible à feindre, même pour la comédienne la plus habile ; et au contraire il se trouve que nous avons devant nous une femme dont le trait le plus frappant, — comme aussi le plus fâcheux, — est une impuissance singulière à garder jamais pour soi l’ombre d’un secret !

D’un bout à l’autre de sa carrière, en effet, Caroline est invitée par ses parens, puis par lord Malmesbury et par tous ses conseillers anglais à ne pas s’en aller répétant les secrets qu’on lui a confiés, ou encore à ne pas confier ses propres secrets au premier venu ; mais rien de tout cela n’agit sur ce tempérament de vieille Franlein expansive et bavarde. Comment ne se serait-elle pas trahie d’un mot ou d’un geste, si vraiment elle avait poussé la folie jusqu’à compromettre ses chères revendications politiques, — sans parler de son honneur et de sa dignité personnelle, — en devenant la maîtresse de l’ancien courrier aux larges bottes et aux boucles d’oreilles ? Comment supposer qu’une femme de cette espèce, si vraiment elle s’était oubliée jusqu’à