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recevoir dans ses bras le superbe gaillard qu’était Pergami, n’aurait pas éprouvé aussitôt le besoin de s’en vanter à l’un ou à l’autre de ces nombreux amis qu’elle ne cessait pas d’inviter à venir la rejoindre ?

Mais, au reste, l’innocence de Caroline ne nous est pas seulement attestée par l’éloquence indignée de ses dénégations. Tout ce que nous découvrons de son tour d’esprit et de son caractère, dans les pages précédentes de sa biographie, nous explique fort bien qu’elle ait pu donner lieu aux soupçons de son entourage, et en particulier des quelques Anglais qui ont assisté à ses entretiens avec Pergami. Car il faut savoir que déjà dans sa jeunesse, un soir, au palais de Brunswick, Caroline, vexée de n’avoir pas eu la permission d’aller à un bal, a imaginé de se mettre au lit, et de déclarer à ses parens effrayés qu’elle était enceinte et allait accoucher. Plus tard, dans sa maison de campagne aux environs de Londres, M. Melville est certain qu’elle a dû, à mainte reprise, ébahir des visiteurs trop pudibonds en leur donnant à entendre qu’elle était la mère du petit orphelin élevé près d’elle. Incapable de s’accoutumer à la réserve anglaise, elle ne résistait pas au désir de mystifier ainsi les compatriotes de son mari : et il y a telle de ses dames d’honneur qui, malgré toutes les marques d’affection qu’elle a reçues d’elle, lui a toujours gardé rancune de ses « taquineries. » Or, voici maintenant que Caroline se trouvait délivrée de la longue contrainte que lui avait imposée le séjour de la cour anglaise ! Nul obstacle, désormais, ne l’empêchait plus de s’abandonner pleinement à son goût naturel d’indépendance et de « sans-façon. » Tout de même que jadis dans la petite ville allemande où elle avait passé son enfance, elle se faisait une joie d’accueillir familièrement à sa table des amis d’un rang social fort au-dessous du sien ; et j’imagine que plus d’une fois, lorsque la rencontre d’un lord solennel ou d’une irréprochable lady lui a trop vivement rappelé sa servitude du palais de Saint-James, elle s’est sentie irrésistiblement tentée de scandaliser ces représentans de l’odieux cant anglais, en exagérant encore l’affabilité de ses regards ou de sa parole à l’adresse du bel intendant qui l’accompagnait.


« Je n’ai vraiment commis qu’une seule faute dans ma vie, — répétait volontiers Caroline de Brunswick à ses confidens ; — et cette faute a été mon mariage avec le mari de Mme Fitzherbert. » Oui, cela encore nous parait dorénavant hors de doute. Ou plutôt Caroline a sûrement commis d’autres « fautes, » après la faute très grave qu’avait été son mariage : et il se peut fort bien qu’une attitude différente de