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celle qu’a prise la jeune femme vis-à-vis de son mari eût eu pour effet de lui épargner une partie au moins de ses dures épreuves ; mais il n’y avait pas une de ses nombreuses petites « fautes » ultérieures qui ne se rattachât immédiatement à la grande faute initiale commise par elle en consentant à quitter son pays pour venir épouser le « mari de Mme Fitzherbert. » Et il ne faut pas non plus que cette manière ironique de désigner le prince de Galles nous fasse supposer que c’était lui seul qui, de par son union précédente, se trouvait hors d’état d’apporter à l’union nouvelle les élémens nécessaires pour la paix et le bonheur du jeune couple. Certes, comme je l’ai dit, le prince de Galles nous apparaît inexcusable et pour avoir accepté de se remarier et pour avoir permis à sa maîtresse, lady Jersey, de lui dicter son choix, — ainsi que lui-même, plus tard, l’a formellement reconnu. Mais il est trop sûr aussi que Caroline, de son côté, sachant ce qu’elle savait de son futur mari, et avec cela connaissant mieux que personne sa propre nature, aurait dû se refuser obstinément, — fût-ce la veille du jour fixé pour la cérémonie, — à un mariage qui ne pouvait manquer d’aboutir aux conséquences les plus désastreuses. Dès le début et jusqu’à ce jour de sa première entrevue avec son fiancé, la princesse de Brunswick était libre de dire : non, — à la différence d’Anne de Clèves, que ses parens contraignaient à devenir reine d’Angleterre. Chez l’ambitieuse et romanesque Caroline, l’unique contrainte venait précisément de son désir passionné d’être, bientôt, souveraine de l’un des plus fameux royaumes de l’Europe. A la chapelle royale, pendant la cérémonie de son mariage, les mêmes témoins qui nous ont décrit la mine atterrée du prince de Galles nous affirment que la nouvelle princesse « trahissait, dans toute sa manière d’être, la plus grande joie possible. » On la devinait « remplie d’un sentiment de triomphe ; » elle avait passé devant les invités la tête très haute, « avec des sourires et des saluts familiers pour chacun. » Une mariée qui se comporte de cette façon après avoir été publiquement rebutée, la veille, par son fiancé, et qui sourit avec un air de triomphe, tandis que, près d’elle, son fiancé « a tout l’air de la mort en personne : » n’est-il pas naturel que cette femme-là se reproche ensuite, comme une lourde « faute, » son consentement à un tel mariage, et ne sied-il pas de faire plus ou moins retomber sur elle la responsabilité de la triste série de maux qui en sont résultés ?

Le corps et l’âme, tout en elle était fait pour déplaire dans le milieu nouveau où elle venait vivre. Ce n’est pas pourtant qu’elle fût laide. Mirabeau, qui l’avait bien connue dans sa jeunesse, nous l’a décrite