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constitutions et les lois pourront tout au plus modifier les circonstances extérieures et disposer le milieu : c’est l’homme même qu’il faut réformer, et ces réformes-là ne sont point dans nos mains. Chacun n’y peut que pour lui-même et son entourage immédiat. Si chacun le faisait, le pays serait sauvé... Il y aura d’incalculables préjugés à combattre. Rien de fatal et de choquant que l’ignorance du public : on lui fait tout croire. Les hommes les plus haut placés même ne se font aucune idée des conditions matérielles d’une guerre et des mouvemens d’une armée. Il faudrait que tous les gens instruits eussent fait un cours sérieux de stratégie. Tu ne peux croire combien les études très étendues et consciencieuses (je dis étendues pour un amateur) que j’ai faites pour écrire la campagne de 1866 m’ont été utiles ; de combien de préjugés je me suis gardé, à combien d’erreurs j’ai échappé, et cependant, moi-même, j’ai cédé à l’illusion à certaines heures. Il faudra donc former des générations entières. Former des officiers est encore plus long. Le temps ! la nation saura-t-elle le prendre, aura-t-elle cette persévérance ? Et pourtant nous avons ce qui nous manquait, un but politique : au dehors les alliances, au dedans la réforme militaire ; en résumé et partout, intellectuellement, matériellement, moralement, militairement, la revanche. Avec cette unité, ce mot d’ordre, cette tension et cette aspiration générale, un pays qui un peu de vie et de cœur se relève...


15 février 1871.

On dit que Favre restera ministre ; je ne crois pas qu’il garde Chaudordy comme délégué : il me semble qu’il y a du froid entre eux, et cela tient à mille choses, justes et injustes, qu’il est trop long et inutile d’énumérer. Du reste, Chaudordy, après avoir été pour la défense à outrance et en assez bons termes avec Gambetta, siège à l’extrême droite. Il a été un agent d’action très remarquable, mais j’ignore absolument ce qu’il est au fond et sa valeur politique. Je ne souhaite pas pour Favre qu’il garde le portefeuille. Il n’est point homme d’Etat, encore moins diplomate. Le milieu en fusion de la Chambre ne lui va pas, les passions le ressaisiront et il redeviendrait homme de parti. Livré à lui-même, il a été grand, mais plutôt de cœur et de caractère que d’action : l’homme a prévalu sur le politique. Ce sera sa belle et grande page, il faudrait fermer là le livre.