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de la France. J’imagine que tu lis les journaux anglais, le Times entre autres a donné d’excellens récits de toute cette piteuse inondation de boue ensanglantée. Je ne te conte donc pas les événemens, j’aime mieux prendre les choses où elles sont aujourd’hui et te les montrer comme je les vois.

Ce qui frappe le plus, et par-dessus tout, c’est l’antagonisme profond de Paris et de la Province. Il s’accuse en tout et partout. Il n’y a à mon sens d’autre trait d’union possible que les boulets. On a des canons. Aura-t-on des artilleurs ? C’est la question. Mais le fait est là. Ce n’est pas seulement un manque d’équilibre provenant d’une longue séparation : non, il y a antagonisme profond, on ne parle pas le même langage, on ne se comprend pas, on ne pense pas de même, on ne voit pas sous le même angle.

Paris se croit héroïque et régénéré. Il a chassé le tyran et veut donner de nouveau de grands exemples au monde qui le contemple. Il n’a pas été pris, mais vendu. Et cela, entends bien, ce ne sont pas seulement les Belvillais qui le disent et le croient, mais l’ensemble de la bourgeoisie, mais le monde de la finance, le commerce tout entier. Tout ce qui a porté un habit de garde national crie à la trahison de Trochu. Ceux qui pensent autrement le disent tout bas et entre eux seulement. Ce n’est rien encore : Paris veut être maître de lui-même ; les Belvillais veulent la Commune, les bourgeois le conseil municipal qui deviendra Commune le jour où la canaille le voudra. Paris veut se séparer de la France : la province ne l’a pas secouru, qu’elle reste chez elle, Paris farà da se, il aura sa charte municipale, les socialistes rêvent d’y établir leur Salente, les bourgeois d’y dormir en paix, commerçant à leur guise, sans armée bien entendu, et tous revêtus de l’héroïque oripeau du soldat citoyen. Le Comité de l’Hôtel de Ville veut désarmer les bons bataillons ; ceux qu’on appelle les bons bataillons voudraient désarmer les troupes du Comité, mais tout le monde au fond est garde national dans l’âme. Tous aussi veulent la République : là-dessus, il n’y a pas à s’entendre. La République est pour le bourgeois ce que la Commune est pour le voyou ; — il ne sait pas ce que c’est, mais c’est sa chose, c’est la chose surtout que la province ne veut pas, — et il la lui faut. Tout le monde est d’accord pour demander « Paris libre dans la France libre, » les conservateurs font un amendement et demandent « le quartier libre dans la