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pas des insurgés qu’on lance sur nous, mais une armée véritable. Ils arrivent en bataillons serrés, avec des équipemens complets et des chefs organisés. La fameuse artillerie de la garde nationale, triée par eux pendant le siège avec le plus grand soin, fait très ferme contenance et sert bien ses pièces. Ils ont enfin le courage individuel, mais ils n’ont que cela. Ils se répandent hardiment dans les bois en tirailleurs, mais devant un mouvement sérieux, ils fuient. Ils ne sont nullement commandés : le plan général, dû à quelque gredin, était bien conçu, l’exécution est déplorable. C’est la démagogie en armes. Leurs rangs sont très mêlés. Il y a tous les bandits de Paris, des contingens de l’Internationale accourus de Londres, de Belgique, de Genève et d’Italie : de pauvres diables que l’on force à marcher sous peine de mort, des émeutiers convaincus enfin, vétérans du socialisme qui croient l’heure venue de réaliser leur éternel cauchemar et y sacrifient stoïquement leur vie. Ils se sont engagés jusqu’à Villacoublay, sur le plateau de Châtillon. On les a délogés. Mais ils se sont établis dans les redoutes de Châtillon. Hier matin, ces redoutes ont été emportées, on leur a fait 1 500 prisonniers et on s’est établi fortement sur ces hauteurs, d’où l’on peut canonner les forts de Vanves et d’Issy qu’ils tiennent toujours. Aujourd’hui, on doit faire un mouvement prononcé en avant. On va lentement ; on veut ménager les troupes et on a raison. Leur moral est excellent.


Versailles, 17 mai 1871.

Je n’ai aucun goût à te parler de nos affaires. Ce rôle de Cassandre et de médecin tant-pis me lasse à la longue et me dégoûte horriblement. Ce qui navre, c’est un désarroi général des idées et des choses, une désagrégation complète des élémens, un éparpillement inouï de pensées et d’actions ; on saisit le détail et on y excelle, mais on ne voit rien au delà, l’ensemble échappe. Nous avons tous un microscope sous les yeux. Il y a une bonne majorité, pleine d’honnêteté et de connaissances, elle est bien désorientée ; elle agit du mieux qu’elle peut ; elle contient des hommes très capables, d’excellens administrateurs, l’étoile d’un gouvernement sage, il y a là des hommes tout à fait distingués que l’on ne soupçonne pas encore, qui se taisent, se réservent et font bien, mais ils n’ont que l’étoile d’un gouvernement