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croissant de lune ; nous avancions dans le parc, sur la terre jaune, desséchée, effritée par les boulets et les chariots. Çà et là d’énormes vides dans le bois, puis des troncs abattus qui barrent le chemin ; plus loin, c’est une redoute prussienne qu’il faut traverser ; enfin on commence, à travers les arbres, à distinguer des lueurs rouges dans le lointain. On atteint la terrasse ; il y a un monceau de décombres : c’était la lanterne de Diogène. Il y a là des voitures, des curieux, des filles, des soldats et, dans le bois au-dessous de nous, des gens du pays qui « rigolent » bruyamment avec de gros éclats de rire. De temps en temps, une charrette crie ; en arrière, les grands arbres calmes qui s’épaississent dans la nuit, et la lune qui monte tranquillement au ciel. Devant, Paris brûle. Il y a sur la ville un nuage de fumée et de vapeurs ; les collines dessinent vaguement leurs contours : çà et là parait un foyer sombre, comme les feux qui s’échappent de terre dans les pays à mine. A notre droite, tout est en flammes. C’est le Grenier d’abondance qui brûle : c’est une flamme blanche avec des jets énormes qui dardent de temps à autre, suivis d’un roulement de tonnerre. Le feu soulève l’épaisse couche de fumée et sous cette voûte noire, sur ce fond enflammé, la colline Sainte-Geneviève profile ses maisons, nettes et découpées. Il y a une auréole autour du Panthéon. Puis tout à coup une lumière rouge se détache dans l’ombre, un coup part, il passe dans l’air comme un météore et l’obus vient éclater en plein foyer d’incendie. C’est infernal. On n’a jamais rien conçu d’aussi épouvantable. Il faut se figurer les fameuses gravures de Martens. C’est que l’histoire n’a rien enregistré de pareil. C’est fou. Quelqu’un disait : C’est Moscou. Un autre a répondu : C’est Sodome ; il avait raison. Il n’y a que dans les vieilles légendes bibliques qu’il se trouve rien de pareil. C’est fini. L’armée a été admirable, les opérations dans Paris merveilleusement conduites. Les Prussiens sont stupéfaits : ils sont peu pénétrans et ne comprennent pas. Les fortes têtes de là-bas ne doivent pas s’y tromper : les causes sont assez simples pour qui connaît la France. D’abord on a réuni là l’élite de nos généraux, il y a de l’unité dans le plan et M. Thiers a été un merveilleux ministre de la Guerre et intendant général. Il s’est agi de faire un siège en règle : nos officiers ont tous appris cela à l’école, et tous aussi ont réfléchi à la guerre des rues que nous considérions comme fatale. Enfin on n’avait pas à