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milieu d’une génération d’hommes de guerre et d’hommes d’État, qui reliaient la tradition avec leur talent personnel. Et ils n’ont fait pourtant qu’une œuvre éphémère… Nous attendons un sauveur : il ne viendra pas, l’élément n’existe point. Il n’y aurait de salut qu’en nous-même, dans une réaction très profonde de l’organisme sur la cellule ; alors le cœur se remettrait à battre, le cerveau à penser ; il naîtrait des enfans qui sauraient travailler et parmi eux l’élu qui dirigerait l’ouvrage et rebâtirait la maison.


Honfleur, 3 août 1871.

… Je vais avoir trente ans ; j’ai le dessein de jouir de ce qui me reste de jeunesse et de tirer profit de mon travail. Il y a une moitié de ma vie que je donne à cette jouissance : c’est la partie du roman et des lettres : je ne la sacrifierai à rien. Mais je sens plus que jamais, au temps où nous sommes, le devoir pour chacun de pousser à la roue. Je suis absolument sceptique sur l’action administrative, je suis très découragé sur l’action de l’État : l’individu doit agir, je le pense, je le dis et je veux le faire. La besogne du Ministère peut être faite par tout le monde ; on y perd son temps jusqu’au grade de sous-directeur ; je ne le désire pas, n’ayant pas le goût des travaux qu’il comporte ni des situations où il mène. Mais le Ministère est un milieu, et, tant qu’il n’absorbe pas, il a des avantages ; il en a de grands pour l’action politique telle que je la comprends : on peut y suppléer très aisément par des lectures, des voyages, des relations privées ; mais enfin ce milieu facilite les choses, diminue la besogne, et c’est quelque chose. J’ai donc la ferme intention de persévérer dans la voie où je suis entré ; faire le nécessaire dans les bureaux, mais rien de plus et employer la majeure partie du temps que j’y passe à étudier les questions dont je m’occupe. Je suis entré au Moniteur ; je serai une cheville sérieuse dans une revue diplomatique qui se fonde parmi des gens sérieux et actifs, que je connais, pour combattre l’action prussienne. J’ai donné au Moniteur quatre grands articles sur la réforme de l’armée ; trois ont paru ; les deux premiers très vifs contre la garde nationale, le peuple armé et toutes les superstitions révolutionnaires. — Je prépare ici pour Buloz un gros article de fond sur « la responsabilité de l’opinion publique » dans les derniers événemens : ce sera le précis philosophique des faits que je t’expose dans ces lettres. Ma vie ainsi divisée en deux parts, l’une à la politique.