Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Tacite a flétrie, la paix du désert, la paix du cimetière. Cette paix ne fut troublée que par les Fenians : les patriotes Irlandais tombaient au rang de simples anarchistes et la loi anglaise en fit des forçats.

C’est vers 1870 que le mot de Home Rule de est prononcé pour la première fois. Nous le traduisons par celui d’autonomie, mais le vocable français ne rend pas ce qu’il y a de sentimental et d’intime dans ce mot de Home qui parle au cœur aussi bien qu’à l’esprit. Introduit dans une formule politique, il la rend intelligible, chère et sacrée à tous. Être son maître, être chez soi, être le maitre chez soi, n’est-ce pas le rêve des peuples comme celui des individus ? Le mot fit une fortune rapide ; il fit en même temps la fortune de l’homme qui l’avait inventé. Isaac Butt groupa autour de lui tout un parti, dont le programme était fort simple : rappel de l’Union et constitution d’une législation autonome à Dublin.

Ce parti commençait à créer des embarras au gouvernement. On chercha et on trouva aisément les moyens d’écarter Isaac Butt. Avocat de quelque talent, mais homme de plaisir, avec de grands besoins et de grosses dettes, il se laissa persuader d’accepter une place de juge grassement rétribuée et alla s’y éteindre sous le mépris de ses admirateurs de la veille, devenus, en un jour, ses mortels ennemis. Cette rouerie ne profita guère au gouvernement, car Butt fut remplacé à la tête du parti par Charles Stuart Parnell, avec qui le Home Rule, de gênant qu’il était, devint formidable.

Il fallut bientôt compter avec quatre-vingts députés Irlandais, admirablement conduits et disciplinés.

Le parti eut deux armes terribles à sa disposition : au dedans du Parlement, l’obstruction ; au dehors, la ligue agraire. Tandis que celle-ci, sous l’inspiration d’un Michael Davitt et d’un Dillon, pratiquait, avec une inflexible ténacité, les principes et les moyens d’attaque annoncés dans le fameux « Plan de Campagne, » tandis qu’elle allumait jusque dans le dernier village de l’Irlande la fièvre révolutionnaire, les députés de l’ile sœur, avec une persévérance égale, paralysaient dans le Parlement l’action législative en prolongeant les discussions les plus futiles au delà de toute mesure. Aucun d’eux n’était orateur, mais que leur importait ! Parler, parler sans cesse, tel était leur premier but. Provoquer des votes innombrables autant qu’inutiles, tel