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justifient cette supposition, qui ne pouvait être complètement calomnieuse. Ce qui est certain, c’est que Gladstone se déclara soudainement prêt à concéder à l’Irlande l’autonomie parlementaire qu’elle réclamait. L’histoire voudra savoir quelles furent les causes de ce revirement extraordinaire. On trouvera la version officielle dans la biographie du grand homme d’Etat par un de ses lieutenans préférés, lord Morley. Je suis loin de mettre en doute la sincérité de John Morley, mais sa personnalité est trop engagée dans cette circonstance, il eut trop de part, dit-on, dans la détermination de son chef pour qu’il ne soit pas permis de supposer que son jugement, en cette matière, et, par conséquent, son témoignage, manque un peu d’impartialité et d’indépendance. Gladstone obéissait-il, simplement, au désir d’être juste envers une nationalité longtemps opprimée, à la pensée, très honorable, de réparer d’anciennes erreurs qui pesaient sur la conscience anglaise ? Était-il intimidé par les agissemens de la Land League et cédait-il à l’envie, fort naturelle, de mettre fin à des embarras inextricables ? Un homme qui a joué un grand rôle dans ces événemens, M. Joseph Chamberlain, m’a dit ceci : « Les Irlandais faussaient le fonctionnement du système parlementaire en s’interposant entre les deux partis ; on voulut se débarrasser d’eux : rien de plus ! » On va voir que la rédaction du premier Home Rule Bill de 1886 rend cette explication très vraisemblable.

En effet, les 28 pairs électifs, nommés à vie par leurs collègues pour représenter la pairie irlandaise dans la Chambre haute, et les 103 députés qui faisaient partie delà Chambre des Communes cessaient de paraître à Westminster. Un parlement était créé, siégeant à Dublin, et assez curieusement composé de deux « Ordres » qui correspondaient à la Chambre haute et à la Chambre basse, et qui devaient discuter et voter ensemble ou séparément, suivant les circonstances. La Chambre basse se composait de 204 membres, chaque circonscription alors existante élisant deux députés au lieu d’un ; la Chambre haute combinait l’élément aristocratique et l’élément démocratique, en adjoignant aux 28 pairs, dont je viens de parler, 75 membres élus d’après un système censitaire qui n’a plus d’analogue nulle part. Les pouvoirs attribués à ce Parlement étaient soigneusement limités et soumis, en beaucoup de cas, à l’autorité supérieure du Parlement Impérial. Le Parlement irlandais n’avait