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surabondante, subtile et trouble où il était passé maître, mais qui ne convainquit personne. Un groupe de vieux whigs (c’étaient les derniers !) sous la conduite de lord Hartington, et un autre groupe, plus nombreux, de radicaux patriotes, en tête duquel marchait Joseph Chamberlain, passèrent à l’ennemi et décidèrent le rejet de la loi. Les transfuges ne sont jamais rentrés au bercail. Ainsi disparut ce premier bill qui n’avait rien apporté à l’Irlande, mais qui laissait l’Angleterre désunie et affaiblie. Il avait brisé l’unité du parti libéral, assuré vingt ans de domination au parti conservateur ; en même temps, il avait surexcité le sentiment impérialiste, jusque-là un peu vague et purement lyrique ; il lui avait imprimé cette allure agressive et conquérante, dont s’alarma l’Europe. De la date le long isolement d’où le génie diplomatique d’Edouard VII a tiré l’Angleterre.


III

Une des premières pensées du gouvernement conservateur fut pour l’Irlande. Lord Salisbury, le chef de ce nouveau gouvernement, franc jusqu’au cynisme, avait dit un jour : « Nous saignons l’Inde à blanc. « Personne n’était donc plus capable que lui de reconnaître que l’Irlande avait de justes griefs et des colères légitimes. Mais comment atténuer ces griefs ? Comment désarmer ces colères ? Quels étaient les vrais besoins de l’Irlande ? Était-ce de rouvrir l’arène oratoire, où avaient retenti les voix de Flood et de Grattan, à quelques rhéteurs qui s’y disputeraient des portefeuilles plus ou moins illusoires ? N’était-ce pas bien plutôt de rentrer en possession de son sol dont l’avait privée une usurpation séculaire ? Un peuple qui vit en tenancier sur sa propre demeure et qui cultive en mercenaire sa propre terre au profit d’un maître étranger et souvent absent, ne peut être, ne sera jamais un peuple heureux et tranquille. Rendre l’Irlande aux Irlandais, telle fut l’œuvre confiée à M. Arthur Balfour, et à laquelle il se dévoua sans relâche et sans défaillance, depuis le moment où il accepta les difficiles, les dangereuses fonctions de principal secrétaire pour l’Irlande, jusqu’à celui où il faisait passer, comme premier ministre, en 1903, l’Irish Land Purchase Act.

Cet Acte demeurera l’honneur de sa vie, en même temps que